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Ajustement du commerce et de la production dans les pays ACP : l’expérience du secteur caribéen du rhum

12 août 2010

Un entretien avec Vaughn Renwick, Association de producteurs de rhum et de spiritueux des Caraïbes (WIRSPA), Caraïbes

Août 2010

Vaughn Renwick est le directeur de l'association de producteurs de rhum et de spiritueux des Caraïbes (WIRSPA) et était responsable de la mise en œuvre du Programme intégré pour le développement du secteur caribéen du rhum. Il était auparavant directeur général de l’Agence de développement des exportations des Caraïbes, avec une expérience professionnelle aux Secrétariats du CARICOM et de l’Organisation des États des Caraïbes orientales (OECO), et au Gouvernement de Grenade.

Dans cet entretien avec Agritrade, M. Renwick parle de la libéralisation du marché du rhum de l’Union européenne, de l’adaptation des producteurs caribéens aux changements et des rôles joués par les gouvernements régionaux et la Commission européenne dans ce processus. Il évalue les progrès réalisés par l’industrie à ce jour et ses défis pour l’avenir.

Document de réflexion ECDPM/ CTA : Trade and production adjustments in A...

Q : Quels changements de la Politique agricole commune (PAC) ou quels développements concernant l’accès à l’Union européenne (UE) ont amené votre industrie à devoir entreprendre des ajustements au niveau du commerce et de la production ?

Les bases du programme caribéen du rhum proviennent de la décision de l’UE de libéraliser l’accès au marché de l’UE du rhum en vertu d’un accord commercial bilatéral UE-US. La décision faisait partie d’un processus plus vaste d’âpres négociations entre l’UE et les États-Unis sur une série de questions. Cependant, elle a nettement érodé la valeur des préférences du secteur caribéen traditionnel du rhum. Les gouvernements caribéens et l’industrie du rhum ont cherché à garantir la reconnaissance par l’UE des effets négatifs qu’aurait cet accord sur le secteur du rhum.

Les fonctionnaires et les ministres de l’UE ont rapidement compris les implications de l’accord UE-US pour l’industrie du rhum caribéen et, dès mars 1997, ils se sont engagés à aborder les besoins de l’industrie caribéenne du rhum. Cet engagement a donné lieu à une déclaration conjointe sur le rhum, qui était annexée à l’Accord de Cotonou et qui a engagé l’UE à financer une série de mesures demandées par l’industrie du rhum. Ces mesures liées à la modernisation et à l’investissement en capital doivent soutenir les ajustements de la production, l’aide au marketing pour aborder les besoins d’ajustements commerciaux, et une aide au développement de capacités pour faciliter une approche à l’échelle de l’industrie.

Q : Quels étaient les principaux éléments de la stratégie d’ajustement poursuivie par l’industrie du rhum ?

Notre processus d’ajustement a été mené par notre compréhension de l’orientation du marché mondial du rhum et de la manière dont les producteurs caribéens pourraient se positionner rentablement dans ce marché en pleine évolution. C’est cette compréhension qui a permis le développement des mesures d’investissement en capital et d’aide au marketing dans le cadre du programme en faveur du rhum. À cet égard, l’approche était orientée vers le marché. Cette approche a été confirmée ultérieurement par une étude de marché détaillé pour nous permettre de cibler efficacement les composants de marché qui étaient présents, ce que nous savions sur la base de notre compréhension générale du mode de développement du marché.

Alors qu’il était relativement simple de conclure un accord sur le but du programme – à savoir améliorer la compétitivité et la rentabilité des producteurs caribéens de rhum en les aidant dans la transition de l’exportation de rhum en vrac à l’exportation de rhum de marque de haute valeur et de haute qualité – il n’a pas été aussi facile de développer en commun des programmes opérationnels dans une industrie dont les entreprises étaient traditionnellement en concurrence dans le marché des exportations.

Il a fallu beaucoup de temps pour arriver à un consensus sur des mesures communes de développement de marché, étant donné que des accords devaient être conclus sur une série de sujets. Comment, par exemple, concevoir une campagne commune promouvant des rhums de qualité, tout en permettant aux propriétaires individuels de marque de poursuivre leurs propres initiatives de marketing ? Sur quels marchés nationaux de l’UE se concentrer et pendant combien de temps mettre en œuvre ces programmes afin de générer des résultats durables ? Ces questions et une série d’autres devaient être résolues avant de pouvoir lancer un programme concret de marketing. Cela a pris du temps, en particulier compte tenu de la nature très rigide des règles du Fonds européen de développement (FED) dans les activités de ce type.

Néanmoins, une ‘Authentic Caribbean Rum Brand’ et une véritable campagne de marketing du rhum ont été convenues et lancées grâce au financement de l’UE. Le délai de mise en œuvre était cependant serré.

Des problèmes ont aussi été rencontrés pour faire bouger les choses du côté de l’investissement et de la modernisation du programme. Non seulement les accords administratifs pour les mesures d’un régime de base de subvention à coûts partagés devaient être convenus et mis en place, mais les entreprises de rhum devaient également accepter la vision de restructuration ambitieuse. Dès le début, le niveau de soutien accordé n’était pas suffisamment intéressant pour encourager les entreprises à prendre le risque de faire ces investissements, étant donné que certains – comme les processus onéreux de traitement des déchets – n’offraient pas de rentabilité tangible. Par conséquent, la demande de fonds était relativement lente jusqu’à ce que le régime soit modifié pour proposer un niveau plus élevé de soutien de démarrage pour le processus d’ajustement de la production. Cependant, comme les entreprises ont mieux compris ce qui était disponible et quelles possibilités offraient le programme, la demande de fonds a nettement accéléré.

Cette lente phase de ‘démarrage’ permet de tirer des leçons importantes pour la conception de programmes similaires dans d’autres secteurs et régions des pays ACP.

Q : Quel rôle a joué le soutien du gouvernement pour aider l’industrie du rhum à réaliser les ajustements nécessaires du commerce et de la production ?

Nos gouvernements ont joué un rôle très important dans le lobbying pour l’établissement du programme. Nos fonctionnaires ont dû suivre toute l’initiative par le biais de toutes les étapes du processus complexe de prise de décisions de l’UE, à partir de la décision du Conseil de l’UE en mars 1997 jusqu’à la signature de l’accord de financement en janvier 2002. Cela exigeait une véritable endurance et une surveillance constante. Bien sûr, le secteur du rhum, par le biais de la WIRSPA, a activement soutenu nos gouvernements durant tout ce processus et cette approche conjointe a garanti que tout le monde reste attentif. Cela signifiait que non seulement l’aide de la Commission européenne (CE) était mise à disposition, mais elle était disponible conformément aux modalités et aux conditions selon lesquelles l’industrie caribéenne pourrait efficacement utiliser les ressources financières mises à disposition pour satisfaire à ses propres priorités de marketing, de modernisation et d’investissement en capital.

Nos gouvernements ont également joué un rôle important dans l’aide à la conception du programme privilégié par l’industrie du rhum et le soutien de l’établissement d’accords de gestion qui ont donné à la WIRSPA un rôle central. Cela signifiait que ceux qui étaient les plus concernés par la restructuration du secteur du rhum – l’industrie du rhum – avaient la pleine responsabilité pour la conception et la gestion du programme en faveur du rhum.

La WIRSPA a bien sûr fait face à des défis et devait donc augmenter de manière significative sa capacité administrative. Malgré cette expansion, qui comprenait l’engagement d’une assistance technique externe, la WIRSPA était toujours responsable devant ses membres constituants. Ce n’était pas une mince affaire, puisqu’elle était également responsable, à l’égard du Secrétariat du CARIFORUM et de la délégation de l’UE, de l’administration des fonds conformément aux procédures de l’UE et aux objectifs globaux du programme.

Bien sûr, cela n’aurait pas été possible sans l’excellente collaboration dont a bénéficié la WIRSPA avec le Secrétariat du CARIFORUM et la délégation de l’UE à la Barbade.

Q : Quel rôle a joué le soutien de la CE pour aider l’industrie du rhum à réaliser les ajustements nécessaires du commerce et de la production ?

La CE a joué un rôle important, non seulement au niveau financier – quelque 70 millions € pour l’aide à la restructuration – mais également à cause de sa volonté de réfléchir avec nous à ce qui était nécessaire et comment y arriver. Cette réflexion nous a permis d’identifier certains problèmes potentiels à l’avance et de les aborder. Cela s’est avéré très important dans le domaine de la passation des marchés de services et de fournitures, un domaine qui, comme je l’ai compris, est la source la plus commune de retard dans la mise en œuvre des activités de coopération au développement de l’UE. Dans le cas de ce programme, la CE a convenu en amont l’établissement d’un manuel spécifique de procédures conçu pour promouvoir les meilleures pratiques commerciales. Ce manuel s’est avéré extrêmement important pour la mise en œuvre efficace du programme et a grandement contribué à l’objectif politique sous-jacent visant à améliorer la compétitivité du secteur caribéen du rhum.

La CE a aussi fait preuve de flexibilité dans la modification d’éléments du programme pour nous permettre de tirer parti du composant le plus réussi du programme – la fenêtre de modernisation et d’investissement en capital de 46 millions € du régime de subvention à coûts partagés. La CE souhaitait également concevoir certains éléments du programme pour améliorer son attrait pour le bénéficiaire final.

Au niveau plus quotidien, la CE s’est avérée également flexible dans l’adaptation des accords administratifs de manière à accélérer la mise en œuvre du programme. Par exemple, une procédure ‘d’approbation par fax’ pour les membres du Comité de pilotage de projet a été introduite pour résoudre le problème de la répartition régionale de la composition du comité. Des innovations administratives similaires ont été mises en place concernant le processus de remboursement des demandes recevables. En effet, la CE accepte que les demandes partielles pour des activités terminées puissent être soumises dans le cadre des différents projets approuvés. Cela réduit nettement les difficultés de cash flow de grands et petits bénéficiaires qui devaient financer les investissements en amont et a augmenté le taux de ‘première’ soumission de demandes recevables.

Cependant, il a fallu du temps pour obtenir l’approbation de certaines de ces innovations. Ce délai a retardé quelques projets d’investissement en capital de plus d’un an et repoussé certains projets vers la fin du programme, alors que l’approbation de Bruxelles était attendue pour une réaffectation de fonds entre différentes fenêtres du régime de subvention à coûts partagés. Ce report a posé un grand problème car des projets se sont accumulés à la fin du programme, mais a été réduit grâce à la flexibilité de la part de la CE en collaboration avec le CARIFORUM.

Q : Dans ce cadre, comment décririez-vous votre expérience de l’aide de l’UE au processus d’ajustement ?

Dans l’ensemble, compte tenu de la réputation de bureaucratie de la CE, l’expérience a été extrêmement bonne. Les fonctionnaires de la CE ont écouté nos problèmes et notre vision pour les aborder, et ont travaillé avec nous pour élaborer des manières pratiques d’atteindre nos objectifs dans le cadre des contraintes de procédures rencontrées. Bien sûr, une divergence de points de vue et des désaccords ont eu lieu, mais ils ont toujours été résolus dans un esprit constructif. C’était un processus d’apprentissage pour nous tous, car nous tentions de mettre en place un programme très ambitieux pour repositionner tout un secteur dans un marché en pleine évolution. Pourtant, nous y sommes parvenus. Il a fallu un peu plus de temps que prévu à chaque étape, mais nous y sommes arrivés à chaque fois.

Cependant, le programme a récemment fait face au problème des règles du FED concernant le calendrier global de mise en œuvre du programme. Cela a mené à ce que l’industrie du rhum considère comme une clôture prématurée du programme – prématurée dans le sens où les mesures d’investissement convenues conjointement, conformément aux exigences de l’UE, n’ont été remboursées qu’à la toute fin du programme, compte tenu d’une extension de trois mois de la période de paiement convenue par la CE. Il y a eu de nombreux retards de mise en œuvre, dont beaucoup étaient externes aux entreprises concernées. Dans un cas, par exemple, les retards dans la réalisation de l’investissement ont été causés par un ralentissement de l’expédition d’un composant clé en raison de l’attentat terroriste à Mumbai, en Inde ! Ainsi, alors que les investissements en capital étaient largement terminés, un composant majeur du programme – la ‘Marque de Rhum’ – n’a bénéficié que d’une exposition limitée par le biais d’une brève campagne promotionnelle d’à peine 20 mois, empêchant donc de réaliser son objectif de devenir un instrument durable pour soutenir des marques caribéennes des pays ACP.

Traditionnellement, il fallait environ 12 à 13 ans pour mettre en œuvre un programme sectoriel bien conçu et complet en vertu des règles du FED, et même plus longtemps pour les programmes mis en œuvre au niveau régional. Par rapport à ce point de référence, le programme sectoriel innovant et ambitieux qu’est le programme en faveur du rhum s’est extrêmement bien déroulé. Dans ce contexte, la recherche d’une nouvelle extension pour permettre la réalisation des objectifs globaux pour le programme semblerait parfaitement raisonnable. En effet, c’était le consensus parmi toutes les parties impliquées dans le programme, notamment les observateurs, les évaluateurs et les fonctionnaires de la CE. Le problème était que les règles du FED ne le permettent pas.

Il est clair qu’une réforme de ces règles du FED est nécessaire si la CE veut s’attaquer efficacement aux besoins d’aide pour l’ajustement du commerce et de la production qui seront constatés dans les pays ACP à la suite de la mise en œuvre des accords de partenariat économique et des processus plus vastes de changement de la politique commerciale de l’UE. Dans le contexte caribéen, cela comprend bien sûr les implications de tous ces nouveaux accords commerciaux préférentiels que la CE signe avec les pays d’Amérique latine.

Avant de clôturer sur l’expérience de l’aide de la CE au secteur du rhum, il convient de relever que l’industrie du rhum a fait elle-même un plus grand investissement dans le processus de restructuration que la CE. Le financement de la CE a servi à relancer ce processus, mais c’est l’industrie du rhum elle-même qui a assumé le principal coût financier de l’ajustement entrepris. Nous ne voulons pas minimiser la contribution de la CE, mais plutôt la mettre en perspective.

Q : À quel point le programme d’ajustement de l’industrie du rhum a-t-il aidé l’industrie à se repositionner dans un marché en pleine évolution ?

À ce jour, le programme en faveur du rhum s’est avéré très intéressant, souvent comme attendu mais également de quelques manières inattendues. Par exemple, le processus d’établissement de business plans, auparavant considéré un peu comme une charge, s’est avéré extrêmement précieux, contribuant à une augmentation générale des normes de business planning à travers l’industrie. Ce processus a été particulièrement favorable aux petits producteurs. Il a également permis d’aider les entreprises à lever des capitaux auprès des institutions financières locales pour la mise en œuvre des programmes d’investissement en capital. Le programme a également encouragé le développement d’une vision stratégique pour le secteur. Ces aspects peuvent paraître difficilement tangibles, mais ils constituent en fait de réelles avancées.

Concernant des aspects plus concrets du programme, ils ont généralement aidé les entreprises à s’attaquer aux coûts et à améliorer l’efficacité, parfois par le biais d’investissements relativement limités. Le programme a aussi grandement facilité, comme prévu, l’investissement en capital dans la modernisation, un processus qui pose la base du repositionnement de l’industrie dans le secteur global du rhum.

Ce repositionnement en lui-même dépend bien sûr beaucoup du succès du programme ‘marque de rhum’ et de la campagne associée sur le véritable rhum mise en place grâce au financement de la CE. Cependant, la mise en œuvre de ce programme a été considérablement réduite et a lieu dans le cadre d’une grave crise économique mondiale. Ce n’est pas le meilleur environnement pour repositionner l’industrie caribéenne du rhum sur le segment haut de gamme du marché. Il faudra peut-être encore cinq ou six ans avant de voir les avantages de ces activités sur les bilans d’entreprises. C’est pourquoi la WIRSPA a demandé à être autorisée à utiliser les fonds non dépensés dans le cadre du programme pour continuer à travailler en vue d’établir la marque et la catégorie de rhum caribéen ACP dans le marché.

Le programme a encouragé sensiblement l’industrie du rhum à aborder certains problèmes qui n’étaient pas une priorité commerciale, notamment des problèmes liés à la gestion des déchets et à la protection environnementale. L’approche de ces problèmes peut être considérée comme un développement très positif, car elle a aidé à positionner le secteur ‘avec une longueur d’avance’ en termes de développements de la protection environnementale et de la gestion des déchets.

Dans l’ensemble, même si le processus d’ajustement est toujours en cours, nous espérons que le programme en faveur du rhum aura aidé nos producteurs de rhum à atteindre un niveau de rentabilité et de compétitivité qui leur permettra de survivre au-delà de la durée des préférences commerciales dans un environnement commercial de plus en plus concurrentiel.

Q : Quels seront, selon vous, les principaux défis à aborder à l’avenir ?

Ayant abordé de nombreuses questions immédiates de production et d’approvisionnement dans le secteur, le principal défi est la croissance continue des exportations de produits de marque. Le succès de la Marque est essentiel pour soutenir et étayer cette croissance. Le marché ne fait que commencer à apprécier la catégorie de rhum caribéen ACP – un rhum caribéen authentique avec une histoire diverse riche en héritage. Nous devons promouvoir cette catégorie pour permettre aux marques individuelles de se développer et garantir que la marque continue à être soutenue par un processus de certification fort qui gagne le respect du commerce et du consommateur.

Pour les producteurs qui continuent à dépendre du marché du rhum bas de gamme pour soutenir leurs efforts de développement de marque, le maintien de la protection tarifaire restante accordée aux producteurs contre des produits concurrentiels à faibles coûts est crucial. Les mesures de la CE pour négocier leur suppression constituent un défi majeur pour la viabilité de certaines des plus grandes entreprises ACP et peuvent potentiellement avoir un impact négatif sur les revenus et l’emploi.

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