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« Si nous arrivons à posséder les flottes étrangères de palangriers, nous n’aurons pas besoin de la dérogation liée à l’approvisionnement global »

06 juillet 2013

Un entretien avec Maurice Brownjohn, OBE

Maurice Brownjohn est le Conseiller commercial des Parties à l’accord de Nauru (PNA) basé à Majuro, dans les îles Marshall, et il est également le directeur commercial de Pacifical, qui commercialise du thon skipjack du Pacifique portant le label MSC pour les pays PNA. Il a occupé le poste de Président de l’Association de l’industrie de la pêche de la Papouasie-Nouvelle-Guinée pendant 20 ans, de directeur de l’Autorité nationale de la pêche de Papouasie-Nouvelle-Guinée depuis 1995 et a été auparavant un acteur majeur de l’industrie de la pêche au thon à la palangre de Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Q: Les pays ACP du Pacifique et l’UE sont toujours en train de négocier un APE, dans lequel l’extension de l’approvisionnement global est un point capital. Quel est l’enjeu pour le Pacifique ? 

Les ressources halieutiques – en particulier le thon – sont les seules ressources partagées de valeur faisant l’objet d’un commerce entre le Pacifique et l’UE. Selon moi, l’extension de l’approvisionnement global comporte peu d’avantages, tel que proposé au titre d’un APE complet. Une telle disposition entraînerait au contraire des coûts très élevés, dans la mesure où la discussion porte également sur l’accès aux ressources halieutiques. Les pays ACP du Pacifique pourraient au final conclure un accord commercial prévoyant l’approvisionnement global pour les produits de la pêche mais à cause duquel nous perdrons le contrôle, ainsi que nos droits, sur nos ressources thonières.

En termes de bénéfices pouvant être retirés de l’approvisionnement global, nous devons nous rappeler que l’UE a toute une série d’exigences qui sont en fait des « barrières non tarifaires », et les coûts pour s’y conformer sont disproportionnés pour de nombreux pays ACP du Pacifique. Pour de nombreuses îles, ces coûts de conformité dépassent généralement le PIB du pays – ils ont des petites flottes et individuellement, ils n’ont pas la capacité de satisfaire et de conserver la reconnaissance de la part de l’UE qu’ils ont effectivement les compétences.

Par exemple, la plupart des îles du Pacifique n’ont pas d’autorité nationale compétente ou les mesures INN appliquées avec leur registre de navires se sont pas reconnues par l’UE, et par conséquent, les navires locaux et les usines de transformation locales ne sont pas éligibles pour approvisionner l’UE, ni pour bénéficier d’une quelconque concession tarifaire potentielle. Par conséquent, même si nous parvenons à négocier un meilleur accès au marché grâce à l’approvisionnement global, ainsi que des compromis dans le cadre d’un APE complet, nous pourrions encore être incapables d’accéder au marché de l’UE du fait de ces contraintes. Cela ne signifie pas que nos normes sont plus laxistes, mais plutôt qu’elles ne sont pas reconnues par l’UE.

Ces barrières non tarifaires ne vont pas disparaître tout simplement à cause de l’approvisionnement global. En effet, d’après ce que nous savons sur la réforme de la réglementation de l’UE sur la pêche, elle devrait encore se durcir, et être de plus en plus liée aux autres politiques sectorielles de l’UE. Pour le profane, ceci ressemble à un retour à notre passé colonial.

Ce qui compte pour nous est de diversifier nos partenaires commerciaux et nos marchés. Il est vrai que le marché européen offre potentiellement des prix plus élevés – à condition de pouvoir se mettre en conformité avec les normes SPS, INN, etc. – mais d’autres marchés tels que le Japon, les États-Unis, la Chine et l’Australie, qui sont plus proches de la région, sont plus accessibles. Si l’on tient compte des coûts de transport aérien vers l’Europe, les avantages de ces autres marchés régionaux sont considérables : le transport aérien du Pacifique vers l’Europe coûte le double du transport vers le Japon.

C’est le bénéfice net qui est important pour le commerce national.

Q: Vous affirmez que les pays ACP du Pacifique pourraient perdre le contrôle de leurs ressources avec la signature de l’APE, qui est pourtant un accord commercial. Comment est-ce possible ?

Les négociations d’APE intérimaire ne comportaient aucune discussion sur l’accès aux ressources de pêche. Cependant, il semble que pour obtenir l’approvisionnement global, au titre d’un APE complet, nous avons maintenant l’obligation de fournir des droits d’accès à la demande, et de rendre des comptes sur la manière dont la région gère l’accès aux ressources thonières. Précédemment, il avait même été question d’allouer 5 % des droits de pêche au thon de la région à l’UE.

Il s’agit là d’un développement qui nous inquiète au plus haut point. Dans le même temps, l’UE refuse d’appliquer les accords de gestion des pêcheries des pays ACP du Pacifique à ses navires pêchant dans nos eaux au titre des APP bilatéraux. Aussi bien dans le cadre des négociations d’APE que dans les accords bilatéraux, l’UE défie les lois nationales, les accords de pêche régionaux, tels que l’accord de Palau et l’accord de  Nauru en vertu duquel le VDS (Vessel Day Scheme ou système de contingentement des jours de pêche) et d’autres modalités et conditions minimales ont été convenues. Nous constatons même que la compétence scientifique de la Commission de la pêche du Pacifique occidental et central et du Secrétariat de la Communauté du Pacifique est remise en question. Mais il est clair que notre région reste la mieux gérée. Qu’en serait-il si nous avions remis notre gouvernance entre les mains de l’UE? La Méditerranée n’est malheureusement pas un modèle auquel nous voulons nous conformer.

Q: Ce problème, à savoir que l’accès négocié par l’UE ne respecte pas le VDS mis en place par les Parties à l’accord de Nauru (PNA), est soulevé par le Parlement européen dans le cadre des discussions actuelles sur l’APP UE–Kiribati …

Je ne peux clairement pas parler au nom d’un quelconque pays.

Le VDS est un régime de contrôle de l’effort de pêche visant à assurer l’exploitation durable de nos ressources thonières. À cet égard, nous essayons d’établir des points de référence et d’autres mesures pour garantir la durabilité. En outre, en limitant l’effort, cela renforce les revenus tirés de l’accès aux ressources de pêche pour les membres PNA.

Les revenus régionaux PNA générés par l’accès VDS représentent aujourd’hui environ 200 millions de $US, rien que pour les senneurs à senne coulissante, et ils devraient encore augmenter, puisque le prix par jour de pêche oscille de 5 000 $US à 6 000 $US par jour.

Lorsqu’on regarde ce qui est proposé dans le cadre des APP bilatéraux de l’UE au niveau mondial, si vous enlevez la composante aide, le prix par jour réellement payé par l’UE est sensiblement inférieur à ce qui est payé par d’autres nations de pêche en eaux lointaines au titre du VDS.

Au titre du VDS, une journée de pêche aujourd’hui coûtant 5 000 $US permet à un navire de 50–80m de long de capturer 30 tonnes de thon en moyenne, ce qui se négocierait sur le marché à environ 60 000 $US. Certains navires de l’UE bien plus gros peuvent capturer le double de ce volume.

Les redevances d’accès, par conséquent, représentent environ 10 % de la valeur du poisson capturé, et servent à couvrir les coûts de gestion des pêcheries et à soutenir nos économies vulnérables. Ces revenus  fournissent des fonds substantiels au Trésor public de nos membres mais le gros des bénéfices revient aux entreprises de pêche et aux gouvernements étrangers.

Q: Est-ce pour cette raison que les PNA ont également souligné la nécessité d’acquérir les flottes étrangères de pêche au thon ?

Actuellement, l’écrasante majorité des 270 senneurs thoniers dans les eaux PNA est étrangère. Près de 85 % de notre thon est capturé par des flottes des États-Unis, du Japon, de Taiwan, de Corée, des Philippines, de Chine et d’Espagne, mais nous constatons de plus en plus que ces navires sont basés localement dans les îles où des emplois sont créés. Seule une infime partie de notre thon reste dans la région pour transformation – contrairement à d’autres régions riches en thon, la capacité de transformation ne correspond pas à la disponibilité des ressources thonières dans le Pacifique. Il est clair que les conserveries asiatiques– Thaïlande, Philippines, Corée, Chine – et latino-américaines sont très dépendantes de nos ressources. Notre région couvre près de 90 % des besoins de la Thaïlande.

Par conséquent, au-delà de l’organisation de la vente des droits d’accès par le biais du système VDS, l’objectif des PNA est également d’examiner comment la valeur des produits du thon peut être augmentée, et comment la population locale peut en tirer profit. Nous avons besoin de compter sur la participation de davantage de partenaires étrangers dans la création d’emplois et dans la transformation dans les régions côtières. Nous voudrions également voir davantage d’entreprises de pêche conjointes entre les entreprises de pêche locales et étrangères, y compris de l’UE, dont l’investissement brille actuellement par son absence dans notre région.

Les PNA devraient pouvoir contrôler la destination du thon capturé dans leurs eaux – le thon devrait être débarqué et transformé dans la région – et ainsi développer l’emploi pour notre population, plutôt qu’agir en tant que pourvoyeur de matières premières aux économies industrialisées.

Dans ce contexte, maintenir les matières premières à des prix élevés grâce au système VDS aide à garantir la compétitivité des industries des PNA. Ce système maintient aussi des redevances d’accès liées aux prix du poisson, donne de la valeur aux concessions tarifaires et augmente les bénéfices du secteur.

Si nous arrivons à rendre les flottes étrangères opérant dans les pays ACP du Pacifique les nôtres, cela aura également des répercussions sur l’accord commercial avec l’UE. Si, par exemple, les flottes étrangères de palangriers étaient possédées par des locaux et qu’elles battaient pavillon local, elles pourraient approvisionner le marché de l’UE sans devoir  recourir à l’approvisionnement global. Mais cela prendra du temps, et en attendant, la plupart de l’effort de pêche restera aux mains des flottes étrangères.

Dans ce contexte, il convient de noter que la plupart des pays des îles du Pacifique, tout en étant riches en ressources, ne peuvent approvisionner à eux seuls les conserveries, et doivent donc se tourner vers la transformation artisanale à plus petite échelle de poisson frais et congelé – généralement de palangriers.

Comme on pouvait s’y attendre, ces  initiatives dans la région, en particulier pour les senneurs et les conserveries, se sont heurtées à l’opposition des opérateurs, y compris des opérateurs de l’UE, qui ont déjà investi et formé des entreprises conjointes de pêche ailleurs – comme en Équateur – mais qui espèrent toujours pouvoir s’approvisionner en matières premières bon marché dans notre région.

Q: Le dernier écolabel du thon skipjack PNA fait-il aussi partie de la stratégie visant à augmenter les bénéfices locaux?

Absolument. Des signes clairs indiquent que dans l’UE, aux États-Unis et en Asie, les consommateurs sont de plus en plus sensibles à la durabilité, et le MSC a établi les normes les plus strictes en matière d’écolabels – le MSC est la seule certification conforme aux normes de la FAO en matière d’octroi d’un label écologique aux captures d’espèces sauvages. Les distributeurs en sont de plus en plus conscients et font pression pour obtenir un approvisionnement de thon certifié durable – un thon garanti durable devient de plus en plus une condition indispensable pour le commerce international.

Le thon skipjack portant le label MSC des PNA est prêt à approvisionner les marchés mondiaux du thon en conserve capturé de manière durable, après avoir obtenu la certification de la chaîne de garantie d’origine MSC longuement attendue pour la capture, la transformation et l’approvisionnement de thon skipjack sur bancs libres des PNA.

Comme je l’ai mentionné précédemment, nous estimons qu’il est important de récompenser ces flottes pêchant le thon sur bancs libres de manière durable, et qui débarquent leurs captures localement pour transformation. Voilà pourquoi les PNA ont établi Pacifical, une initiative aidant ces flottes à commercialiser leurs produits à base de skipjack certifié MSC à un bon prix, à promouvoir les PNA au niveau mondial via les produits portant la marque Pacifical Co, et offrir une traçabilité du filet à la conserve de thon.

Une autre initiative PNA digne d’être mentionnée est la certification de la responsabilité sociale SA8000. Il s’agira d’une autre grande première pour notre région, et ceci témoigne des normes sociales élevées que nous sommes disposés à appliquer (interdiction de recourir au travail des enfants, etc.)

Le développement du débarquement et de la transformation au niveau local a un effet multiplicateur important pour les économies locales – création d’emplois directs, mais également indirects (y compris la fabrication des conserves et l’entreposage frigorifique). Les revenus des taxes directes et indirectes augmentent, et la sécurité alimentaire s’en trouve améliorée. Nous n’obtiendrons aucun de ces bénéfices si nous nous contentons de vendre des droits d’accès aux nations étrangères qui nous prendront notre poisson.

Q: Comment progresse cette initiative?

De grandes entreprises thonières américaines ont déjà manifesté leur souhait de s’approvisionner en thon skipjack MSC des PNA. Ils doivent néanmoins résoudre le problème du label « sans risques pour les dauphins », qui est délivré par le Earth Island Institute pour le thon en conserve. Les PNA ne travaillent pas avec ce label, puisque la pêche au thon skipjack sur bancs libres MSC n’a aucune conséquence en termes de mortalité des dauphins. En outre, le logo MSC apposé à notre skipjack va plus loin que la protection d’une espèce unique telle que le dauphin. Les normes MSC incluent une couverture totale par des observateurs et une vérification de la durabilité à l’échelle de l’écosystème.

Les gouvernements des Parties à l’accord de Nauru sont très fiers d’avoir la seule flotte de thoniers senneurs certifiée durable au niveau mondial par le MSC. En mars de cette année, les ministres PNA ont fait une déclaration formelle encourageant toutes les flottes actives dans les eaux des PNA à commencer à pêcher le thon skipkack certifié MSC sur bancs libres. La PNG est allée un peu plus loin et exige depuis juillet 2013 que tous les navires pêchant dans ses ZEE commencent à débarquer leur skipjack MSC sur bancs libres pour être transformé dans ses conserveries ou dans d’autres conserveries travaillant avec Pacifical. Il s’agit là d’un grand pas en avant. Notre région est fière de la gouvernance de ses ressources thonières et continue d’encourager la durabilité et la participation de sa population !

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