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‘Nous devrions développer une filière d’approvisionnement alternative, basée sur la pêche artisanale’

14 janvier 2014

Un entretien avec Micheline Dion Somplehi, responsable du programme ‘Femmes’ de la CAOPA

Micheline Dion Somplehi est présidente d’une coopérative de 1650 membres, femmes transformatrices et mareyeuses, du secteur de la pêche artisanale de Côte d’Ivoire. Elle est vice-présidente de la Fédération Nationale des Coopératives de Pêche de Côte d'Ivoire (FENACOPECI) et responsable du programme ‘Femmes’ de la Confédération africaine des organisations professionnelles de pêche artisanale (CAOPA), qui, depuis 2010, rassemble des organisations de 13 pays africains.

Q : Vous revenez du Kenya, où le NEPAD et l’Union africaine ont organisé une consultation de la société civile sur la future réforme de la politique africaine de la Pêche et de l’Aquaculture. Qu’en retenez-vous ?

Tout le monde, y compris les organisateurs, ont reconnu que les parties prenantes n’avaient pas été suffisamment consultées jusqu’ici. Le fait que le NEPAD ait souhaité une consultation plus large, notamment des organisations professionnelles, est une bonne chose.

Pour la Confédération des organisations professionnelles de la pêche artisanale (CAOPA), que j’ai représenté là-bas, la stratégie de réforme de la politique africaine de la pêche doit s’appuyer sur la transparence dans les pêcheries africaines, afin que les parties prenantes, y compris les femmes impliquées dans le secteur de la pêche, puissent donner leur avis et faire des propositions de façon informée aux décideurs nationaux et régionaux.

Pour renforcer cette démarche participative, nous venons de lancer une consultation en ligne jusqu’en février, pour permettre au plus grand nombre des parties prenantes de la pêche africaine et de la société civile de s’exprimer par rapport à cette future réforme de nos politiques de pêche, qui devrait être avalisée par nos ministres de la pêche et de l’aquaculture mi-février. (sur http://caopa-africa.com/ )

Un point important pour que les femmes actives dans le secteur de la pêche artisanale participent à ce processus de réforme de la pêche africaine, c’est que leur légitimité en tant que professionnelles du secteur soit reconnue par les décideurs.

En Côte d’Ivoire, nous recevons un grand appui de nos autorités dans ce sens. Nous souhaitons prochainement organiser une rencontre avec des parlementaires ivoiriens, et partager avec eux nos propositions pour améliorer les conditions de vie et de travail des femmes dans la pêche ivoirienne.

De manière générale, nous pensons que si de telles propositions étaient discutées et validées par les assemblées nationales des pays africains, le développement de la pêche artisanale, et la reconnaissance du rôle des femmes, deviendra une priorité pour nos pays tout entiers.

Q : Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez, en tant que femmes transformatrices, au niveau de la Côte d’Ivoire ?

Comme la plupart des femmes dans la pêche artisanale africaine, je vous répondrai que l’aménagement de sites de débarquement, dotés d’infrastructures adéquates répondant aux normes d’hygiène et de qualité, demeure la priorité. Sans ça, pas de production de qualité, et des revenus de misère qui ne nous permettent pas de faire vivre nos familles dignement.

Mais une particularité que la Cote d’Ivoire partage avec d’autres pays, comme le Nigéria, c’est que notre approvisionnement en poisson dépend en grande partie des importations. Plus des trois quarts du poisson consommé en Côte d’Ivoire nous est apporté par des bateaux étrangers.

Q : Est-ce que vous approvisionner auprès de ces bateaux représente un problème ?

Bien sûr. D’abord, les débarquements des poissons par les bateaux industriels étrangers se font dans les ports, surtout Abidjan, ce qui rend le poisson difficile d’accès pour les femmes qui vivent dans des communautés disséminées sur tout le littoral.

Ensuite, le poisson débarqué, surtout des petits pélagiques congelés, pêchés par des chalutiers russes en Mauritanie et un peu au Sénégal, est aux mains de quelques grossistes, pour qui l’approvisionnement des femmes transformatrices en matières premières n’est vraiment pas la priorité.

Il y a bien aussi d’autres bateaux étrangers, coréens et autres, qui débarquent leurs prises accessoires, le résidu de leur pêche, mais la qualité de ces débarquements laisse à désirer, car ces bateaux ne les conservent pas dans de bonnes conditions.

Il y a un marché important, que ce soit en milieu urbain ou dans les villages plus reculés, pour des produits transformés de façon artisanale traditionnelle, de bonne qualité et à un prix raisonnable. Mais si nous n’avons pas de source d’approvisionnement adéquate, en quantité, en qualité et en prix, ce sont nos marchés qui partent en fumée.

A terme, vu le rôle des femmes dans le maintien des communautés de pêche, ce sont nos perspectives de développement qui sont affectées.

Car il faut savoir que l’activité du pêcheur artisan dépend autant de l’argent de la femme transformatrice que la femme transformatrice dépend du poisson que le pêcheur lui ramène. En effet, dans beaucoup de pays africains, ce sont les femmes qui préfinancent les sorties de pêche dans le secteur artisanal.

Or, une sortie en mer à préfinancer, ça coûte cher. Les systèmes de micro crédits qui nous sont proposés ne nous conviennent pas car ponctuellement, nous avons besoin de montants importants. Nous avons alors recours aux banques commerciales pour avoir ces crédits mais les taux d’intérêt sont trop élevés. Finalement, tous nos bénéfices partent pour payer les intérêts des banques. Il faut que nous puissions développer un dialogue avec ces banques commerciales, pour qu’elles comprennent la dynamique spécifique de la pêche artisanale. Nous avons là un grand chantier!

Q : Les pêcheurs sénégalais et mauritaniens s’opposent de plus en plus à l’exploitation des petits pélagiques par les flottes étrangères, surtout russes et est-européennes. Cela signifie-t-il des problèmes d’approvisionnement accrus pour la Côte d’Ivoire ?

Je pense qu’on doit mettre en place une filière alternative d’approvisionnement via la pêche artisanale. Au niveau de la pêche ivoirienne, les perspectives de développement de la pêche artisanale sont limitées pour l’instant : la zone réservée à la pêche artisanale est réduite, et dernièrement, elle s’est encore plus réduite à cause de l’exploitation pétrolière en mer. Les zones les plus poissonneuses se trouvent là où se font les forages pétroliers, et les pêcheurs ont des difficultés pour y avoir accès, d’autant qu’avec le trafic que cela engendre, plusieurs ont déjà perdu leur matériel de pêche emporté par des bateaux de passage, sans aucune compensation.

Ce qu’il faut, c’est réfléchir à la mise en place d’un commerce entre les zones où se trouve le poisson, comme les petits pélagiques, et où la pêche artisanale développe sa capacité de les capturer, comme en Mauritanie et au Sénégal, et voir la possibilité d’organiser un transport par container, par voie maritime vers nos pays qui sont demandeurs.

Il y a quelques mois, la Mauritanie a signé un accord de pêche avec l’Union européenne. En particulier, la zone de pêche des chalutiers pélagiques européens a été reculée. Et ce nouveau zonage s’applique aussi aux bateaux russes, ce qui donne de l’espace à la pêche artisanale. Nos collègues pêcheurs artisans mauritaniens réfléchissent à développer une petite flotte de senneurs artisans, qui font de la pêche fraîche de petits pélagiques. Si la pêche artisanale mauritanienne et sénégalaise a un accès prioritaire et protégé à ces ressources de petits pélagiques, dans le cadre d’une gestion régionale de ces ressources partagées, cela peut donner un coup de fouet pour le développement du commerce de poisson à transformer avec nos pays.

Bien sûr, le commerce régional, cela suppose une relation de confiance entre les pêcheurs et les mareyeurs qui vendent et les femmes transformatrices qui achètent, puisque les transactions se font de loin, mais comme nos organisations font partie d’une même Confédération, c’est une opportunité à saisir!

Nous allons d’ailleurs nous réunir au sein de la CAOPA, dans quelques mois, pour examiner les possibilités de développer une telle filière d’approvisionnement régionale.

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