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Un accord transparent, durable et équitable avec l’UE aura des retombées sur les activités des flottes asiatiques à Maurice

10 mars 2013

Un entretien avec Vassen Kauppaymuthoo

Vassen Kauppaymuthoo est océanographe et ingénieur en environnement à l’Ile Maurice. Il est également fondateur et président de la plateforme de la société civile mauricienne Kalipso.

Q : Après trois ans sans accord de pêche, entre 2008 et 2010, l’Ile Maurice et la Commission européenne ont signé un nouvel accord et un protocole. Les pêcheurs locaux et la société civile se sont mobilisés contre cet accord. Pour quelles raisons ?

Vous savez, le thon devient de plus en plus cher pour les Mauriciens qui veulent en manger. Si vous allez voir un pêcheur, il vous vendra un kilo de thon à 70 Rs (2 euros). Si vous allez dans un grand magasin, vous paierez ce kilo jusqu’à 350 Rs (10 euros). Or, pour beaucoup de mes concitoyens, le thon doit être la base de notre apport protéique à Maurice! Et donc, nous sommes tous, pêcheurs et société civile, très sensibles aux accords qui visent à donner accès à notre thon aux flottes étrangères.

Dans le cas de l’accord avec l’UE, effectivement, tant les syndicats de pêcheurs mauriciens que la société civile ont défilé dans les rues de Port-Louis, et organisé des  manifestations pour demander plus de transparence dans la façon dont cet accord était négocié. Il est vrai que l’évaluation ex-ante qui a précédé les négociations avait été publiée, ce qui est très positif. Mais le texte du protocole lui-même, signé en février 2012 n’a été publié que sur le site de l’Union européenne et seulement en septembre 2012. C’était pour nous insuffisant pour assurer une réelle transparence du processus, seule garante que les intérêts de tous,  pêcheurs, transformateurs, consommateurs, société civile, étaient dûment pris en compte.

J’ai eu l’occasion de venir à Bruxelles fin 2012, pour partager notre point de vue avec la CE, des ONG européennes et le rapporteur de l’accord au niveau du Parlement européen, Mr Sanchez Presedo. Ce dernier a donné une place importante à ces enjeux de transparence dans son rapport, demandant notamment à ce que les procès-verbaux des réunions de la commission mixte, le programme sectoriel pluriannuel et les évaluations annuelles soient transmises au Parlement. Il a également souligné que l’engagement international de l’UE, en tant que signataire de la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information sur l’environnement, requiert une transparence totale au niveau des accords de partenariat.

Q : Où en sont les choses aujourd’hui ?

Il y a eu de réelles avancées. Les autorités de Maurice semblent avoir été sensibles à l’importance d’améliorer la participation des parties prenantes dans le secteur de la pêche. Après mon retour de Bruxelles, plusieurs réunions ont été organisées par le Ministère des Pêches avec les représentants des syndicats de pêcheurs et de la société civile. Il a été proposé de mettre sur pied un « comité consultatif sur la pêche et les enjeux maritimes » à Maurice. Ce comité, transitoire pour l’instant, deviendra permanent, et rassemblera toutes les parties prenantes. J’ai actuellement la responsabilité de développer des termes de référence pour la mise sur pied de cet outil qui servira au dialogue entre le secteur, la société civile et l’administration.

Il y a plusieurs éléments qui me semblent importants à intégrer dans ces termes de référence. Il faut d’abord que le comité reste ouvert à tous, en particulier aux pêcheurs: n’importe quel pêcheur qui rencontre un problème doit pouvoir venir le présenter devant le comité. Les rencontres de ce comité doivent être ouvertes au public, avec une totale transparence sur les documents qui y sont discutés et les avis qui en sortent.

Le comité doit également avoir la possibilité d’initier certaines choses ; par exemple, tant les pêcheurs que la société civile réclament une étude scientifique détaillée pour établir l’état de santé de nos ressources halieutiques et l’état d’exploitation. Une telle démarche pourrait être poursuivie par le comité. Elle bénéficierait à toutes les parties prenantes.

Q : Comment ce comité va-t-il assurer concrètement le suivi de l’accord de partenariat de pêche ?

Il n’y a pas que le partenariat avec l’Union européenne sur lequel nous voulons donner notre avis. La zone de pêche mauricienne est fréquentée par des navires étrangers qui opèrent soit dans le cadre d’accords, comme ceux conclus avec l’Union européenne, les Seychelles ou le Japon, soit par le biais de l’achat de licences privées,  Taiwan étant la principale flotte en activité dans notre ZEE, et possédant la plupart des licences pour la pêche palangrière.

Nous souhaitons que tous les bateaux étrangers actifs dans notre ZEE répondent aux mêmes critères de durabilité, et je pense que le comité consultatif devra développer une approche qui prennent en compte les activités de toutes les flottes, et pas seulement celle de l’Union européenne.

D’autre part, le comité consultatif devra aussi donner un avis sur la nouvelle loi de pêche de Maurice, qui va être en discussion. Nous devons faire face à de nombreuses urgences. Les ressources des lagons sont épuisées. Les pêcheurs en rapportent des prises de plus en plus faibles, qu’ils vendent pour un prix dérisoire – à peine quelques roupies le kilo de poisson. Il faut donner à ces pêcheurs de meilleures perspectives d’avenir!

Il sera également nécessaire d’examiner comment formaliser le secteur : aujourd’hui, à Maurice, il n’y a pas de carte de pêcheur professionnel, pas de permis de pêche, n’importe qui peut pêcher. C’est difficile de mettre en œuvre une pêche durable dans ces conditions.

Les emplois dans le secteur de la pêche sont aussi créés par le biais de la pêche récréative et par les activités de création de valeur-ajoutée à terre. Il y a eu ces dernières années une politique volontariste pour développer ces activités de transformation à travers le Seafood Hub, en facilitant les investissements et en développant les moyens logistiques. Mais aujourd’hui, il faut penser à la pérennisation de ces activités à terre, qui repose sur la mise en œuvre d’une pêche durable capable de garantir un approvisionnement à long terme sans mettre en péril les ressources.

Q : Et pour ce qui est de l’accord de partenariat avec l’Union européenne ?

Pour ce qui est du suivi de l’accord de partenariat de pêche, j’espère que le comité consultatif participera à la première commission mixte qui va évaluer comment l’accord doit être mis en œuvre. Le comité devrait également participer au groupe qui examine la façon dont les fonds de la contrepartie financière sont utilisés.

A cet égard, une clause qui à notre sens doit être revue, est la clause de confidentialité qui existe dans le nouvel accord, et qui stipule que toutes les informations concernant les activités des flottes européennes sont confidentielles.

Nous avons examiné les différents accords de partenariats entre d’autres pays ACP et l’Union européenne, et notre accord est l’un des seuls, avec le Mozambique, où cette clause est libellée d’une façon aussi restrictive. Si nous comprenons bien que certaines données peuvent être sensibles au niveau commercial, il n’est pas concevable que notre comité consultatif puisse suivre la mise en œuvre de l’accord sans qu’aucune donnée sur les opérations des flottes européennes ne lui soit communiquée.

Il va de soi que pour que l’exercice soit constructif, nous devons avoir accès à toute information pertinente, comme la liste des bateaux sous licence, les captures effectuées, les plans et rapports annuels sur les dépenses sectorielles, etc.

Q : Y a-t-il d’autres aspects qui devraient être soulevés pour la mise en œuvre de l’APP ?

Un point important sera de revoir les dispositions concernant les captures de requins par la flotte européenne, en ligne avec ce qui est proposé dans le cadre de l’accord UE-Madagascar.

Les requins ont presque disparu de nos eaux. Ils ont été surpêchés pour alimenter le commerce des ailerons de requins en Asie. La flotte palangrière de l’UE ciblant le thon fait d’importantes captures associées de requins, qui ne sont pas correctement rapportées, ni payées d’ailleurs.

A l’avenir, il sera important de faire en sorte que l’accord de partenariat mette en œuvre de façon efficace les recommandations de la Commission thonière de l’Océan Indien (CTOI) à cet égard. Cela vient d’être fait dans le cadre de l’accord avec Madagascar, qui prévoit le déploiement d’observateurs à bord des palangriers, pour récolter des statistiques qui seront transmises au Comité scientifique de la CTOI. Dans le cas de Madagascar, la pêche des espèces vulnérables de requins est aujourd’hui interdite, et les captures des autres requins associés à la pêche thonière fortement limitée. Nous n’avons rien de tout cela dans le protocole UE-Maurice, ni, à ma connaissance, pour ce qui concerne les flottes palangrières taiwanaises. C’est certainement un aspect sur lequel le comité consultatif pourra se pencher.

Comme vous le voyez, un accord plus transparent, durable et équitable entre l’UE et Maurice devrait aussi avoir des retombées sur les activités des flottes asiatiques opérant dans nos eaux, ce qui sera un bénéfice pour tous, en particulier les pêcheurs et la population de Maurice.

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