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L’avenir des relations de pêche ACP-UE: en quête de cohérence et de durabilité

06 novembre 2009

Entretien avec Son Excellence M. Barry Faure, Ambassadeur des Seychelles à Bruxelles et Président du Groupe de Travail ACP sur la Pêche

Début Juin, la première rencontre des ministres de la Pêche des pays ACP s’est tenue à Bruxelles. Quel était l’objet d’une telle initiative?

B.F.: La pêche est un enjeu crucial pour les pays ACP: comme source d’alimentation, nourriture, d’emplois, et comme source de rentrées en devises. Plus de 60 pays ACP sont engagés dans le commerce de la pêche sur les marchés régionaux et internationaux ; dans certains petits pays insulaires ACP, comme dans le Pacifique, le secteur fournit jusqu’à 30% du revenu national!

Le fait que les ministres de la Pêche des pays ACP se sont rencontrés pour discuter de la manière de tirer le maximum de nos ressources de pêche, tout en assurant la protection des écosystèmes, montre qu’il y a une reconnaissance de l’importance de la pêche pour nos populations et nos économies.

Quels sont, de votre point de vue, les enjeux les plus pressants auxquels les pays ACP doivent faire face aujourd’hui?

B.F.: Les pays ACP doivent faire face aux mêmes enjeux que la plupart des pays engagés dans la pêche, notamment l’UE: comment gérer nos ressources et notre capacité de pêche, comment garantir des communautés de pêche durables, comment augmenter la valeur de nos produits, etc. et cela tant au niveau de la pêche maritime que de la pêche en eau douce ou de l’aquaculture.

Un des enjeux pour lequel j’ai l’impression qu’il y a une réelle volonté d’agir aujourd’hui, et qui a été souligné par le Conseil des ministres de la Pêche ACP, c’est la lutte pour éliminer la pêche illicite, non documentée et non réglementée, - ce que les gens appellent la pêche INN – dans nos eaux. J’ai vu un rapport récent qui estime que les captures de la pêche INN représentent, dans le monde, chaque année, à peu près 20% de la valeur des captures. C’est une perte nette, particulièrement pour les PED comme les pays ACP, où les opérateurs INN ont tendance à prendre avantage du contrôle insuffisant de nos eaux.

Nous perdons le poisson, nous perdons l’argent du poisson, et dans certains cas, comme en Afrique de l’Ouest, des pêcheurs côtiers perdent aussi la vie dans des rencontres avec des chalutiers pratiquant la pêche INN. C’est la raison pour laquelle les ministres de la Pêche ACP ont appelé les États ACP à développer et mettre en œuvre leur plan d’action comme guide pour résoudre le problème de la pêche INN au niveau national et régional.

Que pensez-vous de la façon dont l’UE va combattre la pêche INN à partir du 1er janvier 2010?

B.F.: Comme je le disais, je pense que tous les pays ACP partagent la volonté de l’UE concernant la nécessité de combattre la pêche INN, notamment à travers le commerce – le poisson est la denrée la plus commercialisée au monde, et la lutte contre la pêche illicite va nécessiter la mise en œuvre de mesures équitables pour stopper le commerce de produits de la pêche illégale. Ceci étant dit, nous avons certaines inquiétudes : nous pensons que les pays ACP vont faire face à des difficultés techniques pour la mise en œuvre de la réglementation INN, en particulier le système de certification des captures, et que certains de nos produits peuvent avoir des difficultés pour accéder aux marchés européens simplement parce qu’ils n’ont pas les moyens de se mettre en conformité aves les demandes de certification. Il y a aussi la question de savoir qui va supporter les coûts additionnels liés à cette certification.

Dans les systèmes existants de certification, il a été montré que les producteurs - les pêcheurs, les aquaculteurs - sont ceux qui le plus souvent doivent supporter ces coûts. Si tel est le cas avec le système de certification INN, cela pourrait créer une barrière pour beaucoup de nos producteurs à l’accès au marché européen […]. Nous avons trois mois avant que la réglementation n’entre en vigueur, et nous attendons avec impatience la publication des règles de mise en œuvre de la réglementation – celles-ci vont certainement aider les pays ACP à évaluer leurs besoins et l’appui nécessaire à mettre en œuvre. Le temps passe, et à mon avis, la CE pourrait avoir à adopter une certaine flexibilité dans la mise en œuvre de la réglementation début 2010.

Les produits ACP doivent déjà être en conformité avec d’autres réglementations européennes, comme le paquet hygiène, ou les règles d’origine. Est-ce que ces réglementations ont été des obstacles à l’accès au marché européen?

B.F.Les relations entre les pays ACP et l’UE sont complexes: d’un côté, nos produits de la pêche ont un accès préférentiel au marché européen, mais d’un autre côté, des conditions d’exportations très strictes, comme celles que vous citez - règles d’origine, paquet hygiène – font qu’il est difficile pour nos producteurs de tirer tous les avantages de cet accès préférentiel.

Plusieurs types d’action peuvent être menés par les pays ACP. En Papouasie Nouvelle Guinée, d’après ce que j’entends, l’assouplissement des règles d’origine obtenu dans l’APE, qui permet maintenant au pays de s’approvisionner en matière première dans le monde entier, a déjà des retombées positives sur les investissements locaux dans le secteur de la pêche. A un autre niveau, je pense qu’il y a un potentiel pour développer des partenariats, notamment avec l’UE, pour promouvoir les investissements dans les pays ACP afin d’améliorer les infrastructures de débarquement, la transformation à terre de qualité, etc. ce qui nous aidera également à nous conformer aux normes d’hygiène et autres de l’UE. Nous devons aussi trouver des solutions au fait qu’il y aura une concurrence accrue entre nos produits et les produits de la pêche non ACP, menant à l’érosion de nos préférences sur le marché de l’UE. Tous ces facteurs suggèrent la nécessité d’un assouplissement général des règles d’origine ou bien l’octroi de quantités plus importantes dans le cadre des dérogations prévues.

Ce que vous venez juste de citer, la promotion des investissements, a été un des objectifs attribué aux accords de partenariat de pêche. Cela a-t-il fonctionné?

B.F. Stimuler l’investissement privé dans les pays ACP est un défi. Pour attirer les investissements dans nos secteurs de la pêche, il faut que notre accès aux marchés en général, et pour les produits à forte valeur ajoutée en particulier, soit amélioré. Nous devons aussi résoudre d’autres problèmes qui peuvent être une contrainte aux investissements: le manque d’infrastructures et le cadre légal en particulier. Mais ce qui est crucial, c’est que les investissements soient faits dans un cadre qui permette un développement durable au point de vue social et environnemental. Dans le cas de l’UE, cela aurait pu être le cadre proposé par les APP, mais, malheureusement, et cela a d’ailleurs été confirmé par un récent rapport de l’UE sur la cohérence, les investissements européens stagnent, y compris dans les pays avec lesquels un accord de partenariat a été signé. Peut-être, mis à part les défis que j’ai déjà mentionnés, un problème a été que l’accent a été mis, pour les investissements promus à travers les APP, sur la constitution de sociétés mixtes de pêche, particulièrement avec des bateaux pêchant dans la zone côtière des États ACP, là où il y a déjà beaucoup de bateaux et où une augmentation de la capacité de pêche n’est peut-être pas toujours souhaitable.

Les APP, comme les autres aspects de la Politique européenne commune de la pêche, sont aujourd’hui en passe d’être réformés. Est-ce que les pays ACP s’intéressent à ce processus?

B.F. Le Conseil des ministres ACP de juin a appelé les pays ACP à contribuer à la consultation de la CE sur le Livre vert pour la réforme de la Politique européenne de pêche. Cela parce que nous sommes partenaires de l’UE, et aussi parce que la politique européenne a un impact direct sur nos pêcheries. En ligne avec nos engagements internationaux, qui sont aussi des engagements pris par l’UE, nous voulons voir la durabilité environnementale, les bénéfices sociaux et économiques, la bonne gouvernance, au cœur de nos relations de pêche avec l’UE.

Je dois dire que les principaux enjeux évoqués dans le Livre vert font écho à nos préoccupations en ce qui concerne les partenariats avec l’UE: la nécessité d’ajuster la capacité de pêche aux ressources disponibles, la question de l’application d’un traitement différencié pour la pêche artisanale ACP, qui est au centre de nos priorités en termes de réduction de la pauvreté, la nécessité d’investir plus, en termes de ressources humaines et financières, dans les organismes régionaux de pêche, etc.

Je voudrais insister sur le fait que la dimension régionale est très importante pour l’amélioration de la gouvernance dans nos relations de pêche avec l’UE. L’idée mise en avant dans le Livre vert d’introduire de ‘formes régionales de coopération’ dans les APP, et peut être, qui sait, substituer des accords bilatéraux par des accords régionaux est certainement quelque chose que beaucoup d’entre nous sommes prêts à explorer. En fait, l’idée de régionaliser nos relations de pêche avec l’UE, c’est quelque chose que certains groupes ACP ont déjà mis sur la table par le passé, par exemple dans le contexte des négociations APE menées par le groupe ESA. Malheureusement, à cette époque, l’UE n’avait pas le mandat pour répondre à une telle initiative.

Un autre aspect important de la réforme, de notre point de vue, est la nécessité d’assurer la cohérence. A un niveau, nous voudrions voir plus de cohérence entre les différentes politiques européennes qui ont un impact sur nos pêcheries: les APP, le paquet hygiène, le commerce, la coopération au développement, etc., et à un autre niveau, entre les politiques européennes et les priorités des pays ACP pour la durabilité et la bonne gouvernance.

Est-ce qu’il y a des initiatives prises par les pays ACP pour améliorer la cohérence politique en vue du développement durable de la pêche ACP?

B.F. La cohérence politique, c’est quelque chose que nous voulons améliorer d’abord par l’établissement d’un ‘Mécanisme ministériel pour la coordination et la coopération des pays ACP sur les enjeux de pêche’. La proposition de mettre en place un tel mécanisme a été prise par le Conseil des ministres de la pêche ACP en juin, et l’approbation par le Conseil des ministres ACP de novembre est attendue. Je suis personnellement convaincu que cela va grandement améliorer la cohérence entre les secteurs de pêche ACP, en ce qui concerne la gestion durable des ressources, la sécurité alimentaire, la lutte contre la pauvreté et le développement du commerce.

Mais les pays ACP sont également convaincus qu’un dialogue continu et structuré avec nos partenaires de développement, spécialement l’UE, doit être établi si nous voulons avoir une meilleure cohérence des politiques.

C’est la raison pour laquelle nous proposons également, dans le cadre de coopération existant pour la pêche au sein de l’Accord de Cotonou, d’établir un comité ministériel conjoint ACP-UE pour la pêche, qui mettrait en place un forum pour l’amélioration de la mise en œuvre de ces principes de cohérence, et créerait les conditions pour le développement durable des pêcheries ACP.

D’ores et déjà, nous avons des collaborations étroites avec le CTA, le CDE et AIDCO pour la mise en place du mécanisme ACP pour la pêche. Nous en espérons, en particulier, une plus grande intégration régionale des initiatives soutenues dans le secteur de la pêche. Nous allons activement rechercher des opportunités de collaboration avec des partenaires internationaux comme la FAO, la Banque mondiale et le NEPAD, entre autres, pour le bénéfice à long terme de nos pêcheurs et de nos économies.

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