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Perspective et défis pour le commerce des produits de la mer ouest africain

05 mars 2010

Entrevue avec M. Makhtar Thiam, économiste, Expert en Produits de la Mer et Directeur du Bureau de Dakar du West Africa Trade Hub (WATH). Makhtar Thiam a été un exportateur de produits de la mer pendant 15 ans et a géré et coordonné les activités de l’UPAMES (Association des Exportateurs de Produits de la mer du Sénégal) avant de rejoindre le WATH. Le WATH gère aussi le West Africa Sustainable Seafood Alliance (WASSDA) avec pour ambition d’aider à préserver les ressources de la mer pour les générations à venir.

Q: A l’heure actuelle, quelles sont les perspectives de commercialisation du poisson ouest africain?

On peut dire que les produits de la mer d’Afrique de l’Ouest, notamment les poissons démersaux, sont aujourd’hui bien présents sur les marchés internationaux, particulièrement en Europe. Mais nous notons aussi un glissement progressif des marchés vers les pays de la sous région oust africaine notamment le Mali, le Burkina, le Congo, etc. Il faut aussi prendre conscience que les moyens d’existence des 400 000 pêcheurs de la région, et du secteur tout entier, sont également liés a ces marchés régionaux. Le marché régional du poisson absorbe actuellement environ la moitié des exportations d’un pays comme Sénégal, constituées essentiellement des petits pélagiques, qui font 80% des captures des pêcheurs artisanaux sénégalais.

Q: N’y a-t-il pas concurrence pour l’approvisionnement de ces deux types de marchés?

Je pense plutôt qu’il peut et doit y avoir complémentarité. Notre optique jusqu'à présent, au niveau du WATH, était d’aider les acteurs du secteur à satisfaire la demande de tous les marchés, régionaux et internationaux, en aidant ces acteurs à se mettre aux normes internationales, -sanitaires en particulier-, de façon à ce que cela contribue à améliorer la qualité au niveau de l’ensemble des produits, qu’ils soient destinés aux marchés locaux, régionaux ou internationaux. Un meilleur accès aux marchés améliore aussi les moyens d’existence de tous ceux qui dépendent de la pêche pour vivre. Et là, ce sont des millions de personnes de la région qui sont concernées: les femmes transformatrices prennent le poisson auprès des pêcheurs, ainsi que les mareyeurs qui le revendent aux commerçants des marchés et aux entreprises de transformation du poisson. Les entreprises de transformation emploient des milliers de personnes, surtout des femmes qui préparent le poisson pour l’exportation. Vous savez, ça, c’est une chose fondamentale quand on parle de pêche: considérer l’ensemble de la filière et de la chaîne de valeurs.

Q: Un autre enjeu clé de la commercialisation des produits ouest africains, c’est d’assurer la durabilité de l’exploitation. Comment prenez vous cette dimension en compte?

Force aussi est de constater que les ressources halieutiques tendent à s’épuiser et, leur exploitation n’étant pas totalement contrôlée, il y’a un risque d’épuisement de ces ressources. Face a cette situation, le WATH a toujours favorisé, parallèlement à l’activité de promotion des exportations de produits de la mer, une prise de conscience des acteurs sur les enjeux d’une pêche durable. Vu l’urgence de la situation, le WATH se consacre maintenant exclusivement à la promotion des activités et projets qui concernent des produits de la mer durables.

Nous avons pour cela créé une plateforme public-privé, l’Alliance pour un développement durable des produits de la mer d’Afrique de l’Ouest, WASSDA, qui permet aux parties prenantes de promouvoir et d’échanger des idées et de trouver des possibilités de partenariat au niveau régional et international pour mener ensemble cette réflexion, en particulier sur les enjeux liés à la surpêche et à la pêche illégale.

Q: Concrètement, quel genre d’initiatives prenez vous pour aider les entreprises du secteur de la pêche à accéder aux marchés internationaux?

Notre objectif, c’est de relier acheteurs et producteurs, pour faciliter la commercialisation. Pour y arriver, nous développons plusieurs approches. L’une d’elles consistait à aider les entreprises ouest africaines du secteur de la pêche à participer à des foires internationales, afin de les mettre en contact direct avec des acheteurs Nous avons sponsorisé plusieurs sociétés d’Afrique de l’Ouest pour qu’elles participent au Boston Seafood Show et au European Seafood de Bruxelles pendant plusieurs années avec d’excellents résultats.

Mais aujourd’hui, comme je vous l’ai dit, notre nouvelle approche est centrée sur les projets et initiatives qui préservent l’environnement marin et les ressources halieutiques. Nous continuerons, bien sûr, à participer a des manifestations comme les Seafood de Boston et de Bruxelles, mais dans une autre optique: après avoir identifié les produits issus de ces initiatives et projets de pêche durable, y compris ceux financés par USAID, nous en faisons nous même leur promotion dans ces manifestations afin de les relier aux marchés. De même, nous essayerons de faire venir dans la sous région des acheteurs sensibles à cette approche de pêche durable.

Promouvoir l’entrée de ces produits ouest africains à ce type d’événements internationaux permet aussi aux entreprises de promouvoir des espèces de poisson moins connues des acheteurs internationaux telles que les espèces de petits pélagiques qui représentent 51% du stock de poisson en Afrique de l’Ouest et qui peuvent être pêchés de façon durable, si les initiatives appropriées sont prises. L’Afrique de l’Ouest est le plus gros marché au monde pour ces espèces qui sont aussi très populaires en Europe et en Asie. Elles sont consommées fraîches, ou séchées et salées, - un processus de transformation à valeur ajoutée qui est surtout effectuée par les femmes.

Or, actuellement, même si la consommation de ces espèces au niveau de la région est extrêmement importante, et contribue à la sécurité alimentaire, les quantités capturées sont tellement importantes qu’il y a encore beaucoup de gaspillage, car les infrastructures pour traiter ce poisson ne sont pas suffisantes. Alors, pourquoi ne pas développer de nouvelles filières de commercialisation pour ces petits pélagiques, en frais, qui pourraient ouvrir de nouveaux marchés, tant au niveau de la région – des pays comme le Congo et le Burkina Faso sont très demandeurs- qu’au niveau international?

Q: Le marché européen est réputé lucratif, est il une priorité pour les producteurs de poisson ouest africains?

C’est vrai que c’est un marché extrêmement lucratif, mais, en même temps, il est de plus en plus difficile d’accès. La réglementation rigoureuse en matière d’importation de l’Europe restreint l’accès au marché pour un grand nombre d’entreprises ouest africaines – que ce soit la réglementation sanitaire ou la nouvelle réglementation de lutte contre la pêche illicite. Un autre problème pour nos produits, c’est que les prix du poisson ont, ces dernières années, baissé en Europe, et, qu’en même temps, les acheteurs européens trouvent de nouvelles sources de poisson, en particulier en Inde, en Asie du sud est. Et donc, bien que les pêcheries ouest africaines soient encore très compétitives en Europe, elles sont néanmoins de plus en plus motivées à trouver de nouveaux marchés, que ce soit dans la région, aux Etats Unis ou en Asie.

Q: Vous avez mentionné la nouvelle réglementation européenne de lutte contre la pêche INN. Cela pose t’il des problèmes spécifiques aux pays d’Afrique de l’Ouest?

La réglementation vient d’entrer en vigueur, et je dois dire qu’au niveau de la région ouest africaine, en tous cas les pays qui exportent beaucoup vers l’Europe, comme le Sénégal ou la Mauritanie, le secteur privé s’est fortement mobilisé pour sensibiliser les autorités sur l’importance de se mettre en conformité par rapport à cette nouvelle réglementation.

La mise en œuvre de cette réglementation a déjà connu quelques difficultés – par exemple, certains exportateurs du Sénégal se sont plaints de ce que, pour le marché espagnol, le contrôle des certificats de capture est centralisé au niveau de Madrid, ce qui occasionne des retards pour la délivrance des autorisations d’entrée de leurs produits sur le marché espagnol, avec avec des conséquences sur la qualité des produits, ce qui occasionne des pertes financières énormes.

Q: Les importateurs européens ont parlé de ‘tsunami de papiers’ pour décrire le nouveau système de certification des captures lié à la réglementation de lutte contre la pêche INN. Ils expliquent par exemple que pour importer dix tonnes de poissons venant de petits producteurs, dont chacun doit certifier l’origine légale de ses captures, on arriverait à plus d’un millier de certificats. Qu’en pensez-vous?

Je ne sais pas à quelle situation ils font allusion mais, dans mon expérience, ce genre de chiffres me paraît anormalement élevé . Dans le cas du Sénégal, un des rares pays où les petits producteurs participent de façon importante aux exportations de poissons frais vers l’Europe, chaque pirogue peut amener entre 100kgs et 1 tonne de produits pour l’exportation. Les exportateurs sont limités, en général, par les compagnies de transport, à des envois de trois tonnes de poisson maximum par chargement. Dans cette hypothèse, pour chaque envoi, on va arriver à, au maximum, une petite dizaine de certificats.

Mais, ce que je voudrais dire, c’est que nous ne devons pas seulement voir ces réglementations comme des obstacles. Elles peuvent aussi donner le coup de fouet nécessaire pour des améliorations globales au sein de la filière. Par exemple, on sait qu’aujourd’hui, la traçabilité est devenue un enjeu clé de la commercialisation. Si la filière pêche ouest africaine reçoit l’appui approprié, la mise en œuvre de la réglementation INN peut permettre d’avancer sur cette voie: meilleure immatriculation des pirogues, nouvelles possibilités de labellisation, etc

Q: Comment la filière, les pêcheurs, perçoivent ils les initiatives pour une pêche durable?

Mais, dans certains cas, ils ont déjà pris, eux-mêmes, des initiatives intéressantes. Au Sénégal, par exemple, il y a le village de pêche de Kayar, qui, depuis 1994, fait respecter des quotas de prise. Le motif de départ, en 1994, n’était pas environnemental, mais économique: la dévaluation du CFA a entraîné une montée en flèche des coûts de production. En limitant les captures de poissons nobles, destinés à l’exportation, à 45 kg par pirogue, en imposant une taille minimale de capture, l’organisation de pêcheurs a vu juste: le prix du poisson a augmenté, les pêcheurs ont augmenté leurs revenus, et les ressources ont été mieux gérées.

Actuellement, la majeure partie des prises des pêcheurs de Kayar est destinée à la consommation locale, le reste - des captures de haute valeur commerciale- est exporté. Ces exportations représentent 4 ou 5 % de la prise artisanale mais rapportent jusqu’à 70% des revenus de la pêche – profitant à tout le monde le long de la chaîne: les pêcheurs, les marchands, les transformateurs et les vendeurs.

Depuis 2005, un programme régional conjoint financé par des ONG, des agences de coopération soutiennent cette initiative qui a fourni des fonds pour la construction des quais de débarquement, des locaux pour la transformation, des entrepôts, etc. C’est ça aussi l’avenir du secteur: appuyer et valoriser les initiatives prises par les producteurs et les acteurs de la filière pour une pêche durable.

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