CTA
Petite police
Polic moyenne
Grande police
English |
Passer à l'anglais
Français
Passer au français
Filtrer par Questions agricoles
Produits de base
Régions
Type de publication
Filtrer par date

“La réintégration de la Chine dans le marché mondial du coton, sans provoquer une nouvelle période d’instabilité, reste le défi principal”

14 décembre 2013

Un entretien avec Michael Edwards, Redacteur en Chef de Cotton Outlook

Michael Edwards est Rédacteur en Chef de la revue hebdomadaire Cotton Outlook, la source indépendante d’informations et d’analyse du marché international du coton. Basé à Liverpool, Royaume-Uni, Cotton Outlook publie quotidiennement l’Indice A, considéré comme le baromètre des cours mondiaux du coton.

Q : Depuis deux ans, la politique chinoise a stabilisé le marché du coton et maintenu des prix relativement élevés au regard des fondamentaux. Quels sont les soubassements de la politique chinoise ?

Les éléments de base du système sont simples. Il s’agit d’un engagement de la part du gouvernement d’acheter la récolte nationale à un prix prédéterminé. Il n’y a pas de limites quantitatives, mais certains critères de qualité existent.

Je crois que l’objet principal est aussi clair :  soutenir la production du coton dont l’avenir apparemment était compromis par la hausse des coûts de production, la concurrence d’autres cultures plus rentables et moins exigeantes, surtout dans les régions productrices de l’Est du pays, alors que le coton semblerait être bien implanté dans la région autonome de Xinjiang. 

Et j’ajouterais qu’on entend souvent parler d’une nouvelle génération chinoise qui a d’autres aspirations, et qui trouve le métier d’agriculteur en général, et la production du coton en particulier, simplement trop pénible.

Mais, le contexte aussi est important. Je veux dire la situation du marché lorsque le système a été conçu. C’est en mars 2011 que la politique a été annoncée, précisément au moment où les cours mondiaux avaient atteint leur apogée – l’Indice A est monté bien au-dessus de deux dollars la livre. Du jamais vu. Et la Chine avait quasiment épuisé ses réserves sans pour autant pouvoir enrayer l’envolée des cours. Le prix d’intervention au moment de sa déclaration en mars se situait bien au-dessous des cours mondiaux, l’effondrement n’ayant pas encore débuté. Mais six mois plus tard, au moment où commencent les achats, la situation est totalement inversée avec des cours mondiaux déjà tombés bien au-dessous du prix d’achat pour les réserves.

Q : Si cette politique a fourni un appui aux producteurs de coton, elle a, en revanche, affecté l'industrie textile. Pensez-vous que la hausse des importations chinoises de filés est une tendance structurelle ou conjoncturelle ?

Effectivement, l’écart qui s’est creusé entre le prix mondial et le prix chinois a miné la compétitivité de la filature chinoise. Il faut  préciser que le secteur affecté, c’est la filature du coton, et non pas l’industrie textile, ni même la filature dans sa totalité. La part des fibres synthétiques a d’ailleurs augmenté aux dépens du coton. N’oublions pas que la Chine a une grande capacité, probablement une surcapacité, de production de polyester. La consommation de coton en a été fortement affectée.

Est-ce conjoncturel au structurel ? Entre janvier et septembre 2013, les importations chinoises de filés de coton ont dépassé  1,36 million tonnes, soit plus que le volume total importé en 2012.

J’aurais donc tendance à parler d’une tendance structurelle. Toutefois, sa durée est incertaine car elle est l’une des conséquences, sans doute inattendue, d’une politique adoptée dans des conditions exceptionnelles du marché international. Une politique, d’ailleurs, qui fait l’objet aujourd’hui d’un débat vigoureux en Chine, et qui risque d’être modifiée ou même abandonnée, peut-être pour la prochaine campagne 2014/15.

Q : Quel est l'impact sur les pays africains producteurs de coton ?

Comme pour tout pays producteur qui dépend essentiellement du marché international, les répercussions de la politique chinoise sont diverses et dans une certaine mesure contradictoires. En principe, la stabilisation de la production cotonnière et la baisse de la consommation depuis l’adoption de la politique chinoise ont fait que le pays est aujourd’hui plus proche de l’autosuffisance en coton que depuis bien des années. Et pourtant – aussi paradoxal que cela puisse paraître – les campagnes 2011/12 et 2012/13 sont aussi celles des importations records.

On constate donc que la Chine a été une source de stabilité pour les cours, puisque le pays a absorbé les excédents mondiaux de coton pendant les deux campagnes en question. Mais en même temps, elle constitue aussi la source principale d’incertitude en ce qui concerne l’évolution future des cours, puisque la conséquence de la politique menée a été la création d’un stock énorme de coton sous le contrôle du gouvernement chinois.  Car, même si le coton est en quelque sorte séquestré du marché mondial, il n’a pas disparu et pourrait toujours être livré au marché si Beijing le voulait. Il faut espérer que les responsables seront guidés par le souci de stabilité souvent évoqué dans leurs discours publics.

En 2012/13, l’Afrique a embarqué vers la Chine à peu près 460 000 tonnes de coton, soit à peu près le tiers de la production du continent. Difficile donc d’exagérer l’enjeu pour l’Afrique des décisions prises à Beijing. Toutefois, une réduction de la demande d’importation chinoise priverait l’Afrique d’une part de son marché le plus important,  et en même temps risquerait d’entraîner une baisse des cours mondiaux.

Q : Le Pakistan, le Bangladesh, l'Inde mais aussi le Vietnam semblent être les nouveaux pôles de l'industrie mondiale du textile. Quelles conséquences pour l'Afrique, ces pays n'étant pas des clients traditionnels ?

Le Pakistan, l’Inde et le Vietnam sont les exportateurs les plus importants de filés de coton vers la Chine. Ils ont su tirer profit d’un certain déplacement de la consommation de la Chine. Les filateurs indiens et pakistanais peuvent bien entendu s’approvisionner en coton sur leur marché national. Au Bangladesh, c’est la croissance des exportations de vêtements qui a soutenu l’expansion de la filature. Et il est vrai que, sauf pour le Vietnam, ce ne sont pas de grands consommateurs de coton africain.

Q : Depuis quelques années, l'Inde s'impose sur la scène cotonnière mondiale et semble être devenue un concurrent sérieux pour l'Afrique. Cette année, on attend une récolte record en Inde et avec la  dépréciation actuelle de la roupie, le coton indien est/sera particulièrement compétitif. Cela peut-il affecter le coton africain et, si oui, comment ?

Il est vrai que la conjoncture d’une récolte record, résultat d’une exceptionnelle mousson, et la faiblesse de la roupie, influencent fortement les perspectives du marché. Le coton indien figure déjà parmi les cotons les plus compétitifs offerts pour embarquement dans les prochains mois, et restera sans doute un concurrent redoutable du coton africain, surtout pour le marché chinois.

Q : On parle peu du programme de soutien en Inde. Pourquoi ? A-t-il un impact sur le marché ?

Le programme de soutien en Inde est basé sur un prix minimum de soutien (Minimum Support Price, MSP) établi chaque année par le gouvernement pour plusieurs cultures, dont le coton-graine. C’est la Cotton Corporation of India qui intervient dans le marché pour soutenir le prix au producteur. On en parle peu actuellement parce que le prix du coton-graine se situe aujourd’hui au-dessus du MSP. Mais, on peut le considérer comme une sorte de filet de sauvetage si les cours baissent.

Q : Si la Chine change sa politique en subventionnant directement ses producteurs, quelles seront les conséquences sur le marché ?

Il semblerait que les mérites (et les inconvénients) d’un tel changement ont été relevés dans les débats sur l’avenir du programme. Mais à ma connaissance rien n’a été encore décidé. A l’égard des conséquences éventuelles, impossible d’y voir clair, tant que nous ignorons le détail de ce qui est proposé.  Mais l’objet d’une telle politique serait sans doute de protéger les revenus des cotonculteurs chinois, en même temps que d’entraîner une convergence entre les prix chinois et mondiaux.  La réintégration de la Chine dans le marché mondial, sans provoquer une nouvelle période d’instabilité, reste le défi principal. Il faudrait aussi savoir quelle sera la politique par rapport aux stocks accumulés pendant les trois campagnes 2011/12 à 2013/14.

Q : Comment voyez-vous évoluer le marché d'ici à la fin de l'année ?

Je n’ai pas une boule de cristal, et le coton arrive toujours à nous surprendre, c’est pour cela que Cotton Outlook ne fait pas de prévisions de prix.  Toutefois, on constate aujourd’hui un sentiment plutôt baissier. Depuis mi-octobre, les prix sont en baisse sur le marché à terme de New York. Sur le marché physique, le poids des récoltes de l’Hémisphère Nord commence à se faire sentir. En outre, les filateurs, en général, manquent de confiance. Mais l’élément qui balaie tous les autres, c’est bien la Chine, le sort des stocks que le pays a accumulé depuis 2011, et la politique en ce qui concerne les importations.

Commenter

Termes et conditions