CTA
Petite police
Polic moyenne
Grande police
English |
Passer à l'anglais
Français
Passer au français
Filtrer par Questions agricoles
Produits de base
Régions
Type de publication
Filtrer par date

La flambée des prix des denrées alimentaires va-t-elle durer ?

01 mars 2011

D’après Lester Brown, expert alimentaire de renommée internationale, le niveau record enregistré par l’indice FAO des prix des produits alimentaires en décembre 2010 n’est pas un phénomène isolé provoqué uniquement par la sécheresse en Russie et les inondations au Pakistan de l’année dernière. L’indice, qui mesure la variation des cours d’un panier de denrées alimentaires de base, a grimpé à 215 points. D’après la FAO, « le système alimentaire mondial semble devenir à la fois plus vulnérable et sujet à des épisodes de volatilité extrême des prix ». Si les prix de pratiquement toutes les denrées alimentaires de base ont augmenté, les hausses les plus spectaculaires ont été enregistrées pour le sucre et les huiles végétales.

« Alors que ces dernières années », écrit M. Brown, « la hausse des prix des denrées alimentaires était liée aux conditions météorologiques, aujourd’hui, elle est la conséquence de tendances lourdes des deux côtés de l’équation offre/demande ». Côté demande, « les principaux responsables sont l’accroissement de la population, l’augmentation du niveau de vie dans de nombreux pays et les carburants élaborés à partir de céréales ». La consommation totale de viande en Chine, d’après Lester Brown, atteint déjà quasiment le double de celle des États-Unis. Des problèmes à plus long terme côté offre restent également épineux. Parmi ceux-ci l’érosion des sols, l’épuisement des aquifères, l’utilisation non agricole des terres cultivables, le détournement des eaux d’irrigation vers les villes, la stagnation du rendement des cultures dans les pays développés, les vagues de chaleur, et la fonte des glaciers de montagne et des calottes glacières. Le changement climatique ne fera qu’exacerber certains d’entre eux.

Cette analyse semble être partagée par de nombreux milieux. Le directeur général de l’OMC Pascal Lamy cite les prévisions de l'OCDE et de la FAO, qui révèlent que si les politiques actuelles se poursuivent, d'ici à 2019, 13 % environ de la production mondiale de céréales secondaires serviront à la fabrication d'éthanol, ce pourcentage s'établissant à 16 % pour l'huile végétale et 35 % pour la canne à sucre. Mais selon lui, d’autres facteurs contribuent également à la flambée des prix actuelle, par exemple les restrictions d’exportation (notamment en Russie et en Ukraine) et d’autres obstacles au commerce tels que les droits de douane et les subventions, qui empêchent une localisation optimale de la production vivrière. M. Lamy a affirmé que la solution consiste d’une part, à lever les obstacles au commerce qui empêchent l’émergence de marchés agricoles efficaces (en redynamisant le cycle de Doha) et, d’autre part, à fournir « des filets de protection sociale plus nombreux ainsi qu'une augmentation de l'aide alimentaire et, dans la mesure du possible, des réserves alimentaires ».

Au même moment, le président de la Banque mondiale Robert Zoellick a déclaré que « les marchés libéralisés peuvent encore assurer la sécurité alimentaire », les pauvres obtenant un accès à des denrées alimentaires en suffisance si :

  • l’on renforce « l’accès du public à l’information sur les stocks de céréales, d’un point de vue qualitatif et quantitatif » ;
  • l’on améliore « le travail de surveillance et de prévision météorologique à longue échéance » ;
  • l’on approfondit « nos connaissances sur le lien entre les prix internationaux et ceux en vigueur dans les pays pauvres » ;
  • l’on constitue « de petites réserves d’apports humanitaires dans les zones faiblement dotées en infrastructures et sujettes aux catastrophes » sous l’égide du PAM ;
  • un accord est obtenu sur « un code de conduite pour que l’aide alimentaire d’ordre humanitaire échappe aux mesures de restriction sur les exportations » ;
  • l’on assure l’application effective des filets de protection sociale ;
  • l’on donne accès à « des apports d’aide à décaissement rapide, comme alternative aux pratiques de restriction sur les exportations ou de fixation des prix » ;
  • l’on met en place « un solide éventail de produits de gestion des risques d’un autre type » ;
  • l’on contribue à ce que « les mesures prises pour apporter une solution au problème de la sécurité alimentaire fassent une plus grande place aux petits exploitants agricoles ».

M. Zoellick ajoute que « la réponse à la volatilité des prix alimentaires ne consiste pas à faire le procès des marchés ou à en bloquer le fonctionnement, mais à mieux les utiliser ».

Le Président Sarkozy a formulé quant à lui une prescription quelque peu différente. Accusant la spéculation financière plutôt que les fondamentaux du marché de contribuer à la flambée des prix des denrées alimentaires, il pose la question en tant qu’actuel président du G20 : « Comment expliquer qu'il est normal de réguler les marchés financiers, mais qu'en revanche, on doit s'abstenir de toute règle sur les produits dérivés financiers en matière agricole ? » Emboîtant le pas aux États-Unis, l’Europe a formulé des propositions qui obligeraient les traders à divulguer leurs positions, qui plafonneraient les volumes des transactions et qui conféreraient de nouveaux pouvoirs aux régulateurs pour intervenir afin de juguler la spéculation. Mais d’énormes dissensions semblent subsister au sein du G20 sur la portée de cette nouvelle régulation mondiale. « Il sera difficile de rallier un consensus mondial sur les limites de position avant que l’on ait un peu mieux étudié la question », aurait déclaré à Reuters une source du G20 après l’intervention de M. Sarkozy.

Commentaire éditorial

Les envolées des prix des denrées alimentaires ont des conséquences politiques, comme l’ont tragiquement démontré les derniers événements en Afrique du Nord. Les pays ACP, en tant qu’économies pauvres et principalement agricoles, sont fortement influencés aussi bien par les événements politiques que les catastrophes naturelles à l’échelle mondiale. Leurs stratégies agricoles et commerciales doivent tenir compte des chocs que le marché mondial peut provoquer et de la possibilité que ceux-ci soient susceptibles de changer à l’avenir.

Il est évident depuis un certain temps que les cycles périodiques de l’offre de denrées alimentaires de base au marché mondial suivent une tendance séculaire à la hausse des prix. Certains des déterminants (côté demande) de la tendance sous-jacente sont peu susceptibles d’être inversés (tels que la croissance de la demande asiatique). D’autres, tels que la concurrence entre les denrées alimentaires et les biocarburants et les restrictions sur la promotion des rendements au travers de la biotechnologie, pourraient changer. Côté offre, le changement climatique est « l’éléphant dans le magasin de porcelaine » pour de nombreux pays ACP. Il pourrait potentiellement faire des ravages au sein des méthodes agricoles actuelles de certains pays ACP, privant ainsi ces pays d’une source importante de devises étrangères des exportations, précisément à un moment où ils seraient plus dépendants des importations pour nourrir leur population.

Ce que les flambées des prix de 2008 et 2010 nous ont appris concernant les tendances sous-jacentes est la constatation de la FAO selon laquelle le système alimentaire mondial est maintenant plus vulnérable aux « épisodes de volatilité extrême des prix ». Des actions internationales telles que celles suggérées par Pascal Lamy pour une aide alimentaire et des réserves alimentaires stratégiques, et l’appel de Robert Zoellick pour un rôle plus important accordé aux petits exploitants dans le défi de la sécurité alimentaire, pourraient devenir absolument capitaux pour éviter une généralisation de la faim.

Commenter

Termes et conditions