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Le commerce laitier entre l’UE et l’Afrique évolue : réponses des entreprises européennes à l’abolition des quotas de production de lait

04 septembre 2014

Résumé

Les perspectives d’augmentation de la production de lait de l’UE après l’abolition des quotas de production en 2015 incitent les grandes entreprises laitières de l’UE à explorer les opportunités d’investissement et de marché en Afrique. Un engagement plus actif de l’UE dans les secteurs laitiers africains pourrait soutenir ou miner le développement structurel des secteurs laitiers africains et le développement des chaînes d’approvisionnement locales du lait. Étant donné les prévisions de croissance des exportations de poudre de lait de l’UE, les politiques gouvernementales de régulation des importations de poudre de lait et le renforcement des chaînes d’approvisionnement locales pourraient s’avérer importantes pour déterminer l’impact structurel de l’intérêt croissant des entreprises de l’UE pour les secteurs laitiers africains.

La politique de l’UE et le contexte du marché laitier mondial

Le processus de réforme de la PAC de l’UE ne peut être dissocié de la structure changeante de la demande mondiale pour des produits agroalimentaires. Dès le début des années 1990, la CE a reconnu que la croissance de la demande mondiale stimulerait les marchés de produits agroalimentaires. Des réformes politiques ont par conséquent été conçues pour faire en sorte que les entreprises du secteur agroalimentaire de l’UE soient plus compétitives sur les marchés mondiaux.

Les réformes du secteur laitier de l’UE arrivant au stade final de la mise en œuvre, les laiteries de l’UE se préparent de plus en plus à desservir les marchés mondiaux en plein essor pour les matières premières laitières et les produits laitiers à plus forte valeur ajoutée, misant fortement sur la réputation des produits laitiers de l’UE en termes de qualité et de sécurité. Dans le cadre de ces stratégies d’entreprise, un processus d’investissement dans l’acquisition et le développement des entreprises existantes du secteur laitier est déjà en cours dans les pays non UE qui connaissent une forte croissance de la demande.

Pour certaines grandes entreprises du secteur laitier de l’UE, le processus vise à trouver des débouchés commerciaux pour l’augmentation de la production laitière qui est prévue après l’abolition des quotas de production de l’UE en 2015. Globalement, les prévisions de la CE indiquent que l’abolition des quotas mènera à un accroissement de la production de lait annuelle de l’UE de quelque 9 milliards de litres, principalement au Danemark, en France, au Royaume-Uni, en Irlande, aux Pays-Bas et en Allemagne1. Pas moins de 67 % de cette hausse de la production (plus de 6 milliards de litres) devront trouver des débouchés en dehors de l’UE2.

Le contexte du secteur laitier mondial peut être jugé favorable à la poursuite de cette stratégie – la production de lait dans les marchés émergents augmente plus rapidement que dans les économies développées, mais la demande dans les marchés émergents croît plus vite que l’offre.

Table I - Produits laitiers : perspectives pour l’offre et la demande jusqu’en 2020

Région Croissance de la demande (%) Croissance de l’offre (%)
Afrique
et Moyen-Orient
+ 4 + 2
Inde + 10 + 7
ASEAN + 4 + 2-3
Chine + 7 + 4
     
Europe Moins de 1 + 1
Amérique du Nord Moins de 1 + 1
Amérique latine 2 2
Australie
et Nouvelle-Zélande
1 2

Source : Fonterra Australie, « The global dairy industry », http://www.fonterra.com/au/en/Financial/Global+Dairy+Industry.

La Chine et d’autres marchés asiatiques semblent offrir les meilleures opportunités d’exportation pour les pays produisant un excédent laitier, mais les entreprises de l’UE sont confrontées à une concurrence de la part d’autres exportateurs mondiaux qui ont un accès plus facile sur ces marchés et qui produisent à des prix qui servent bien souvent de référence pour le commerce mondial de produits laitiers. Bien que certaines entreprises de l’UE soient en compétition sur ces marchés asiatiques, la consolidation et le développement de la position de ces entreprises sur les marchés africains sont jugés comme étant une politique complémentaire importante.

Les entreprises laitières de l’UE et les marchés mondiaux

Si l’on considère le chiffre d’affaires en dollars, quatre entreprises de l’UE figurent parmi les dix plus grandes laiteries mondiales. Mais, pour l’heure, les quotas de production inhibant la croissance de la production, et en termes de volume de lait, la laiterie néo-zélandaise Fonterra est bien plus importante que n’importe quelle autre entreprise laitière de l’UE (avec un volume égal à 144 % du volume du plus grand producteur de l’UE). (Voir le tableau II – Les dix premières entreprises laitières mondiales – 2013.)

À plus long terme, les entreprises de l’UE ont davantage intérêt à développer la production et les exportations de produits laitiers à plus forte valeur ajoutée. À court terme, cependant, les exportations de lait écrémé en poudre ont été le moteur de la croissance des exportations de l’UE, et cela devrait rester le cas au cours des prochaines années. Entre 2009 et 2012, les exportations de lait écrémé en poudre de l’UE sont passées de 231 000 tonnes à 523 000 tonnes, avant de retomber en 2013. (Voir le tableau III – Lait écrémé en poudre de l’UE : exportations 2009-2013.)

Table II - Les dix premières entreprises laitières mondiales – 2013

Entreprise Pays

Chiffre d’affaires des produits laitiers 

(milliards $US)

Volume de lait (millions de

tonnes)

Nestlé Suisse 28,3 14,9
Danone France 20,2 8,2
Lactalis (y compris Parmalat) France/Italie 19,4 15,0
Fonterra Nouvelle-Zélande 15,3 21,6
FrieslandCampina Pays-Bas 14,9 10,1
Dairy Farmers
of America
États-Unis 14,8 17,1
Arla Foods Danemark/Suède 12,5 12,0
Saputo Canada 8,8 6,3
Dean Foods États-Unis 8,6 12,0
Yili Chine 7,6 4,0*

* Estimation.

Source : Canadian Dairy Information Centre, http://www.dairyinfo.gc.ca/pdf/list_glo20_e.pdf.

Table III - Lait écrémé en poudre de l’UE : exportations 2009-2013 (en milliers de tonnes)

2009 2010 2011 2012 2013
231 376 536 523 403

Sources : les chiffres pour 2010-2013 sont extraits de DG Agriculture et développement rural, « Prospects for agricultural markets and income in the EU 2013-2023 », tableau 6.27, décembre 2013, http://ec.europa.eu/agriculture/markets-and-prices/medium-term-outlook/2....

Chiffres pour 2009 extraits du rapport de décembre 2012 : http://ec.europa.eu/agriculture/publi/caprep/prospects2012/fullrep_en.pdf.

La croissance des exportations de lait écrémé en poudre de l’UE devrait reprendre en 2014 et afficher une croissance soutenue jusqu’en 2023, les volumes d’exportation de l’UE devant être en hausse de 58 % par rapport à 2013 et de 175 % par rapport à 2009, année pour laquelle les exportations de lait écrémé en poudre de l’UE ont réellement commencé à décoller. Ces taux de croissance sont bien supérieurs à ceux des exportations de fromage de l’UE et même des exportations de lactosérum, tandis que les exportations de beurre et de lait entier en poudre devraient chuter.

Table IV - Lait écrémé en poudre de l’UE : exportations prévues pour 2014-2023 (en milliers de tonnes)

2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2021 2022 2023
454 576 607 619 622 623 624 634 635 637

Source : CE/DG Agriculture et développement rural, « Prospects for agricultural markets and income in the EU 2013-2023 », tableau 6.27, décembre 2013,

http://ec.europa.eu/agriculture/markets-and-prices/medium-term-outlook/2....

Le commerce de lait écrémé en poudre pourrait potentiellement avoir des implications sérieuses pour le développement des chaînes d’approvisionnement en lait des laiteries en Afrique, étant donné les possibilités technologiques croissantes de remplacer le lait frais par du lait en poudre dans les produits laitiers.

C’est dans ce contexte que des laiteries européennes telles qu’Arla, Danone et FrieslandCampina investissent et exportent davantage vers les pays d’Afrique subsaharienne.

Secteurs laitiers africains : situation actuelle et perspectives

D’après l’analyse de l’OCDE/FAO dans « Agricultural Outlook 2012-2021 »3, la demande des consommateurs pour des produits laitiers augmente fortement en Afrique. Elle a progressé de 22 % sur les six années jusqu’en 2012, et des possibilités d’expansion supplémentaires sont prévues, la demande de produits laitiers augmentant deux fois plus vite que l’offre. Toutefois, il existe un écart considérable entre les régions et les pays quant à la situation des secteurs laitiers africains. À très court terme, les régions présentant le plus grand intérêt pour les laiteries de l’UE sont l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.

Dans les principaux marchés ouest-africains tels que le Nigeria, plus de la moitié de la demande est satisfaite par des importations directes, tandis que 75 % des produits laitiers et des produits alimentaires transformés liés aux produits laitiers fabriqués au Nigeria « dépendent presque entièrement du lait en poudre importé »4. Par ailleurs, le Ghana est pratiquement totalement dépendant des importations de lait en vrac. L’USDA considère le Ghana comme « un point d’accès capital au marché de la région d’Afrique de l’Ouest »5, malgré le fait que le Nigeria réexporte dix fois plus de poudre de lait (en volume) que le Ghana.

Malgré la forte dépendance à l’égard des importations dans les principaux pays côtiers, les efforts se poursuivent pour développer la production laitière commerciale en Afrique de l’Ouest et centrale, l’organisation d’agriculteurs ROPPA appelant à une protection tarifaire plus importante pour les produits laitiers.

La majorité des gouvernements de la région cherche à mettre en œuvre des politiques pour promouvoir la production de lait locale afin d’améliorer la disponibilité alimentaire locale, de créer des opportunités d’emploi, de réduire leurs déficits commerciaux et de promouvoir le développement structurel. Étant donné que la majorité des producteurs laitiers sont des petits exploitants, des efforts sont en cours dans un certain nombre de pays (par ex. le Sénégal) pour investir dans les chaînes d’approvisionnement en produits laitiers des petits producteurs afin de satisfaire aux objectifs à long terme.

En Afrique de l’Est, le secteur laitier de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) est considéré comme ayant un énorme potentiel aussi bien en termes de croissance de la demande que de l’offre. Actuellement, la production régionale est inférieure d’environ 15 % à la demande des consommateurs, qui augmente d‘environ 3,5 % par an. Au Kenya, la production laitière est « le sous-secteur agricole affichant la croissance la plus rapide »6. D’où l’entrée d’acteurs du secteur privé et la formation de coopératives de petits agriculteurs, débouchant sur une augmentation significative de la production de lait commercialisée (+ 150 % entre 2002 et 2011) et le développement de la valeur ajoutée dans le secteur. Des investissements sont également réalisés dans les installations de stockage/transformation de lait en poudre pour gommer les variations saisonnières de l’offre de lait liquide. 

La plus grande entreprise laitière kényane, Brookside Dairies, cible de plus en plus les marchés régionaux, avec des filiales en Ouganda, en Tanzanie et au Sud-Soudan, et un commerce d’exportation qui inclut également le Rwanda, le Burundi, les îles de l’océan Indien, l’Égypte et le Moyen-Orient. Danone a acquis une participation de 40 % dans Brookside Dairies en juillet 2014.

Le commerce intra-africain de produits laitiers suscite quelques craintes dans certains pays, le Conseil laitier tanzanien se plaignant de niveaux d’importation qui sont maintenant équivalents à la production de lait nationale, laquelle a considérablement baissé sur 15 ans. Bien que les installations laitières tanzaniennes restantes ne fonctionnent qu’à 27 % de la capacité installée, les aspirations à développer la production locale de lait et de produits laitiers sont toujours là.

En Afrique australe, le secteur laitier est dominé par l’industrie sud-africaine, dans laquelle les entreprises locales et européennes (Danone et Lactalis/Parmalat) sont bien établies. L’engagement de l’UE depuis 1992 est intervenu soit en partenariat avec des laiteries locales, soit par le biais d’un processus d’acquisitions. Plus récemment, l’industrie laitière sud-africaine a intégré efficacement les importations de poudres de lait dans sa stratégie d’exportation axée sur l’Afrique, les exportations de produits laitiers à plus forte valeur ajoutée augmentant plus vite que les importations de poudres de lait.

L’essor des exportations sud-africaines a conduit les producteurs de lait voisins à accuser l’Afrique du Sud de « dumping », plus particulièrement en Namibie. Certains ont ainsi appelé à un régime commercial plus réglementé pour les produits laitiers, malgré l’existence d’un marché unique au sein de l’Union douanière de l’Afrique australe (SACU). Cela illustre certaines des difficultés rencontrées pour consolider les marchés régionaux, lorsque les producteurs d’un pays font de l’ombre aux autres producteurs régionaux. Une telle situation donne souvent lieu à des pressions protectionnistes considérables pour des raisons de sécurité alimentaire, et est en outre compliquée par des normes de production divergentes.

Ainsi se présente le contexte régional dans lequel les entreprises de l’UE cherchent à s’associer avec l’industrie laitière africaine.

Initiatives récentes des entreprises de l’UE en Afrique

  • Le groupe Arla

La laiterie européenne d’origine danoise Arla estime qu’après l’abolition des quotas de production de lait « les producteurs de lait d’Arla produiront chaque année au moins un milliard de kilos de lait en plus qu’aujourd’hui »7. C’est dans ce contexte de développement imminent de la production de lait dans les pays d’Europe du Nord, où le groupe Arla possède ses opérations, qu’en octobre 2012 la Confédération danoise des industries (DCI) a organisé un atelier sur les opportunités dans le secteur laitier en Afrique de l’Est. D’après le site web de la DCI, « l’Afrique de l’Est, en particulier, offre des conditions favorables aux entreprises danoises puisque le secteur laitier (…) a augmenté sa consommation de lait et est en train de moderniser ses canaux de commercialisation ». Les entreprises liées au secteur laitier danois sont jugées capables d’offrir des « produits, services et solutions aux marchés est-africains en croissance » et de contribuer au « développement des marchés de manière rentable » 7.

En janvier 2013, Arla a annoncé qu’elle visait davantage les marchés en dehors de l’UE, notamment « en Russie, en Chine et au Moyen-Orient et en Afrique ». D’après le président du conseil d’administration d’Arla, augmenter la vente de produits laitiers aux nouveaux consommateurs dans les marchés émergents « aidera à maintenir une industrie laitière viable en Europe du Nord » 7.

Alors que le séminaire de la DCI d’octobre 2012 mettait l’accent sur les opportunités commerciales en matière de produits laitiers en Afrique de l’Est, c’est en Afrique de l’Ouest qu’Arla a lancé sa première nouvelle initiative en Afrique : en septembre 2013, Arla a créé une entreprise conjointe en Côte d’Ivoire pour le conditionnement et la vente de lait en poudre produit au Danemark. Le partenaire de l’entreprise conjointe d’Arla, Mata Holdings, était déjà un producteur bien établi de sachets de soupe en portions individuelles et envisageait d’utiliser les mêmes sachets pour conditionner le lait en poudre danois. L’opération s’est déroulée de manière totalement autonome, impliquant une « nouvelle station mobile d’emballage », qui fonctionne à partir de « trois containers de 40 pieds » en utilisant des panneaux solaires pour assurer un cycle de production de 12 heures, dans des conditions de température contrôlée. L’usine a une capacité annuelle de transformation de 2 000 tonnes de poudre de lait, peut fournir 8 millions de litres de lait sur le marché et est considérée comme un moyen à faible coût de tirer profit la demande massive de lait en Afrique8.

  • FrieslandCampina

FrieslandCampina est bien établie sur le principal marché d’Afrique de l’Ouest, à savoir le Nigeria, grâce à sa filiale FrieslandCampina WAMCO (FCW). FCW approvisionne la principale marque de lait du Nigeria (Peak), en utilisant des matières premières des Pays-Bas pour fabriquer des produits finis tels que le lait concentré et des emballages adaptés pour la poudre de lait. Le PDG de FCW a déclaré que, si un cadre politique approprié était instauré, le Nigeria pourrait devenir « l’un des plus grands producteurs de produits laitiers au monde dans peu d’années »9. Toutefois, il a reconnu que cela exigerait une certaine forme de partenariat public-privé, le ministère de l’agriculture mettant l’accent sur le développement de la production de lait et le secteur privé insistant sur la connexion des agriculteurs aux marchés.

D’après FCW, la société examine les possibilités pour le Nigeria d’augmenter l’approvisionnement de lait local en association avec les entreprises locales depuis 2008. En août 2010, une usine de collecte de lait local a été mise en place, et en 2011 FCW a conclu un mémorandum d’entente avec le ministère fédéral de l’agriculture sur le déploiement d’un réseau initial de centres de collecte de lait. FCW s’est fixé un objectif à court terme de 10 % d’achat de lait local, avec un horizon de 50 % d’ici 10 ans, en s’appuyant sur les systèmes de production des petits exploitants9.

Cependant, FCW a reconnu en 2012 qu’il était moins cher d’importer des matières premières que d’acheter du lait brut local (coûts au débarquement de 70 à 80 N le litre, à comparer à des coûts d’acquisition au niveau local de 90 N par litre – 100 nairas équivalant actuellement à 0,46 €). Dans ce contexte, la réalisation des plans d’entreprise visant à développer l’approvisionnement en lait local est susceptible d’être fortement influencée par les tendances dans l’utilisation des matières brutes importées par les concurrents de FCW9.

  • Danone

En octobre 2013, la société Danone a annoncé qu’elle s’était unie au groupe Abraaj pour acheter Fan Milk International (FMI), Danone souhaitant acquérir progressivement une participation majoritaire. FMI est une entreprise de distribution de produits laitiers et de jus de fruits ayant ses activités principales au Nigeria et au Ghana (80 % des ventes) mais avec des réseaux de distribution dans six pays ouest-africains (Ghana, Nigeria, Togo, Burkina Faso, Bénin et Côte d’Ivoire). FMI, dont le siège social est au Danemark, « s’appuie sur plus de 30 000 vendeurs de rue équipés de charrettes et de vélos, distribuant un éventail croissant de jus de fruits et de produits laitiers [surgelés] ». L’entreprise utilise des poudres de lait importées pour fabriquer des produits laitiers reconstitués10.

Par le biais du rachat de FMI, Danone « espère développer le marché des produits laitiers en Afrique de l’Ouest, en utilisant le modèle commercial unique de Fan Milk ». Selon Emmanuel Faber, directeur général délégué de Danone, « cette transaction représente une étape importante dans l'expansion de Danone en Afrique ». D’après les analystes du secteur laitier, « l’Afrique devient un axe de développement majeur pour Danone et [sera demain] un important vecteur de croissance » 10.

En janvier 2014, des informations non confirmées faisaient état de l’intention de Danone d’acquérir des parts dans la principale entreprise laitière d’Afrique de l’Est, Brookside Dairies, détenue par le groupe Abraaj, le partenaire de Danone dans l’acquisition de FMI. Brookside Dairies a racheté des laiteries locales et a investi dans la production locale de poudre de lait. En juillet 2014, il a été confirmé que Danone avait acquis une participation de 40 % dans Brookside Dairies. Le partenariat avec Danone, en améliorant l’accès aux technologies du secteur laitier, devrait logiquement renforcer la position concurrentielle de Brookside.

Deux questions distinctes se posent à ce propos. La première a trait à l’impact de l’investissement de Danone sur la concurrence dans le secteur, étant donné la position déjà dominante de Brookside dans le secteur laitier formel en Afrique de l’Est. La seconde question est de savoir comment l’intérêt de Danone à ouvrir des marchés pour ses exportations de poudre de lait sera concilié avec le développement d’installations locales de production de poudre de lait, visant à réguler les fluctuations saisonnières de l’offre locale.

En Afrique du Sud, Danone jouissait d’une bonne réputation liée à l’introduction de nouveaux produits laitiers sur le marché en réponse aux structures changeantes de la consommation, avec pour effet d’augmenter la demande de lait produit localement et de soutenir les prix du lait. En Afrique de l’Ouest, cependant, la dernière acquisition de Danone (Fan Milk International) dépend exclusivement des matières premières importées, permettant de fabriquer toute une série de produits laitiers qui sont ensuite distribués en Afrique de l’Ouest. On ne sait pas vraiment quelle voie Danone choisira d’emprunter pour satisfaire la demande croissante des consommateurs en Afrique de l’Est.

Problèmes politiques se posant aux gouvernements africains

Certains gouvernements africains aspirent à développer leur production de lait locale et la transformation laitière à plus forte valeur ajoutée. Toutefois, les structures récentes des investissements des entreprises de l’UE soulèvent la question de savoir comment cela est susceptible d’avoir un impact sur le développement des relations d’approvisionnement entre les producteurs laitiers locaux et les transformateurs laitiers locaux.

Vu les aspirations pour le développement du secteur laitier africain, il semble important que les entreprises de l’UE aillent au-delà de la simple importation de poudre de lait à des fins de transformation pour répondre à la demande croissante de produits laitiers. Par exemple, les laiteries européennes pourraient être encouragées à s’engager dans le développement des chaînes d’approvisionnement de lait locales en améliorant les capacités techniques locales pour collecter, stocker et transformer le lait en produits laitiers à plus forte valeur ajoutée.

Des représentants de la DCI ont souligné que les entreprises danoises ont de l’expérience dans la transformation et peuvent jouer un rôle important en soutenant le développement des filières laitières en Afrique. Il apparaît que la « position concurrentielle durable ne peut être maintenue en exportant des marchandises en vrac d’Europe vers l’Afrique subsaharienne » et que « le véritable avantage comparatif ne pourra être obtenu qu’en investissant directement sur le marché et en développant donc une filière dans laquelle les laiteries pourront approvisionner les consommateurs d’Afrique subsaharienne avec des produits locaux » 11.

L’intérêt croissant des entreprises européennes pour les secteurs laitiers africains représente donc une opportunité intéressante. Cependant, comme il ressort clairement de l’analyse d’Arla et comme les structures actuelles de l’investissement par Danone et Arla le confirment, les pressions à court terme pour trouver des débouchés commerciaux pour des volumes de lait plus conséquents sont intenses. Les exportations de produits en vrac répondent à la demande croissante en Afrique et allègent la pression sur les marchés nationaux de l’UE dans un contexte de croissance limitée de la demande dans l’UE et d’une concurrence intense sur le marché chinois exercée par d’autres grands concurrents mondiaux. Le déploiement de technologies clé en main telles que l’entreprise conjointe d’Arla en Côte d’Ivoire et l’investissement dans des entreprises établies (par ex. l’acquisition par Danone de FMI) sont des stratégies à faible risque et à retour financier élevé par rapport aux efforts de FCW au Nigeria qui se concentrent sur le développement de chaînes locales d’approvisionnement de lait.

Dans ce contexte, une question se pose :

  • Quelles options politiques les gouvernements africains ont-ils pour promouvoir des structures d’investissement de l’UE qui développent durablement les chaînes d’approvisionnement du lait et la transformation à plus forte valeur ajoutée ?

De toute évidence, le soutien du gouvernement s’avère capital pour lever les contraintes de production et d’infrastructure le long des chaînes d’approvisionnement du lait. Les initiatives politiques visant à encourager l’investissement du secteur privé en vue de renforcer l’infrastructure physique et la capacité logistique pour la collecte de lait seraient également utiles. Cela exigera sans doute une intensification du dialogue avec les parties prenantes et une coordination étroite entre les initiatives du gouvernement et celles du secteur privé.

Une politique nuancée sur les licences d’importation en franchise de droits de poudre de lait pourrait également jouer un rôle. La manière dont l’UE fait commerce de lait écrémé en poudre est essentielle pour déterminer si le commerce soutient ou perturbe le développement des chaînes d’approvisionnement locales de lait aux laiteries.

L’expérience en Afrique du Sud dans les années 1990 suggère que, vu les stocks excédentaires de poudre de lait dans l’UE, deux modèles d’investissement de l’UE distincts peuvent intervenir :

  • des entreprises conjointes peuvent être créées, qui mettent l’accent sur le développement de marchés pour de nouveaux produits laitiers à plus forte valeur ajoutée et sur le renforcement des chaînes locales d’approvisionnement du lait ; ou
  • des acquisitions de laiteries locales peuvent avoir lieu uniquement pour accéder aux canaux de distribution locaux et pour intégrer le secteur local de la transformation laitière dans les chaînes d’approvisionnement mondiales d’ingrédients laitiers.

En modifiant les structures de l’utilisation de lait frais dans les produits laitiers, différents modèles d’investissement peuvent avoir des effets très différents sur la production de lait et l’élevage laitier.

L’expérience antérieure de l’Afrique du Sud souligne la nécessité d’envisager avec attention une régulation efficace du commerce de poudres de lait et d’autres ingrédients du secteur laitier dans le cadre des efforts gouvernementaux pour promouvoir le développement du secteur laitier local.

L’expérience dans d’autres secteurs suggère que, à condition de gérer cela de manière transparente, conditionner les licences d’importation à la réalisation d’objectifs réalistes pour l’approvisionnement en lait au niveau local pourrait aider à renforcer le fonctionnement des chaînes d’approvisionnement locales de produits laitiers. En outre, lier les remises de droits sur les importations de poudre de lait à l’introduction de prix incitatifs pour les producteurs de lait pourrait induire des investissements dans le développement des livraisons de lait commerciales, afin d’atteindre la masse critique pour le fonctionnement de systèmes de collecte de lait commercialement viables.

Plus récemment, une dimension importante de politique régionale est apparue, les entreprises laitières sud-africaines intégrant de plus en plus les importations de poudre de lait dans leurs stratégies régionales pour le développement des exportations de produits laitiers. La politique commerciale en matière de poudre de lait est donc une question qui concerne aussi bien le secteur laitier régional que le secteur laitier national, des problèmes importants en termes de concurrence et de règles d’origine se posant dans le cadre des accords commerciaux régionaux. 

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