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Note de synthèse - mise à jour 2013 : Secteur du sucre

16 décembre 2013

1.         Contexte et principaux enjeux

Avec des cours mondiaux du sucre plus élevés que les niveaux depuis 2009, le marché sucrier de l’UE n’a pas fonctionné comme prévu au cours de la période post-réforme. À certains moments, les cours mondiaux ont été plus élevés que les cours européens. Ceci, conjugué à la réglementation du marché sucrier de l’UE, a généré des déficits sucriers sur le marché de l’UE depuis 2010/11. Ces déficits ont pesé assez lourdement sur les raffineurs traditionnels de sucre de canne brut. Au cours de la période post-réforme, les sucreries européennes ont investi dans une nouvelle capacité de raffinage de canne à sucre brut de près de 1,85 million de tonnes. Ces « co-raffineurs » bénéficient actuellement d’avantages comparatifs par rapport aux raffineurs traditionnels de sucre de canne.

La Commission européenne (CE) a été vivement critiquée par les utilisateurs de sucre industriels et les raffineurs traditionnels pour sa gestion du régime sucrier actuel, et ceux-ci ont réclamé des réformes supplémentaires. Bien que l’abolition des quotas transfère invariablement la production de betterave vers les zones de production à plus faible coût, en améliorant la compétitivité globale des prix, certains gouvernements de l’UE ont été peu enclins à abolir les quotas avant 2020.

En supposant une abolition des quotas de production en 2015, un document de travail de la Commission a estimé que cela entraînerait :

  • une chute des prix de la betterave sucrière et du sucre blanc « en dessous des prix de soutien actuels » ;
  • une augmentation de 6,9 % des exportations de sucre de l’UE ;
  • une réduction de 4,7 % des importations de sucre de l’UE.

L’alternative pourrait être une accumulation des stocks de sucre dans l’UE. Une telle situation d’accumulation de stocks pourrait être encore compliquée par une révision des objectifs de l’UE en matière de biocarburants qui, en fonction des modifications spécifiques apportées aux critères de durabilité au titre de la directive sur les énergies renouvelables (DER), pourrait déboucher sur des importations plus élevées de bioéthanol ou sur l’utilisation accrue de betterave sucrière pour la production d’éthanol.

Cela pourrait soit compliquer, soit simplifier les efforts de la CE visant à établir un « cadre modernisé d’instruments de gestion du marché » dans le secteur sucrier. Néanmoins, tout cadre modernisé de gestion du marché est susceptible d’inclure des filets de sécurité plus efficaces pour les producteurs de betterave sucrière de l’UE et un élargissement des mesures politiques pour renforcer le fonctionnement des chaînes d’approvisionnement du secteur sucrier.

Le 1er octobre 2012, toutes les garanties de prix minimum pour les importations de sucre des pays ACP ont été abolies. Toutefois, ces garanties de prix minimum étaient devenues de moins en moins pertinentes, étant donné l’alignement progressif des cours sucriers mondiaux et européens. Vu la grande diversité des facteurs influençant les cours sucriers mondiaux, la manière dont les chaînes d’approvisionnement du sucre ACP-UE spécifiques fonctionnent pourrait gagner en importance. Dans ce contexte, la structure changeante de la propriété des entreprises dans le secteur sucrier mondial est susceptible d’exiger un examen attentif.

La volatilité des prix sur les marchés sucriers mondiaux exige une diversification des flux de revenus générés par la production de canne à sucre. Du point de vue de la culture de la canne à sucre dans les pays ACP, la mesure dans laquelle les agriculteurs seront en aptes à tirer profit de ce processus de diversification des revenus est susceptible de gagner en importance.

Les pays ACP continuent de s’inquiéter des effets directs et indirects de l’abolition des quotas, notamment l’impact des incertitudes sur la mobilisation de l’investissement pour la restructuration du secteur sucrier. Tout au long de 2012, le groupe sucrier ACP/PMA a continué à réclamer le maintien des quotas de production de sucre de l’UE jusqu’en 2020 et une prolongation des mesures d’accompagnement du protocole sucre au-delà de 2014. Le groupe ACP/PMA a en outre continué à s’opposer à une libéralisation supplémentaire des accords d’importation de sucre de l’UE. Lors du Conseil Agriculture de l’UE des 18 et 19 mars 2013, un accord politique a été conclu pour prolonger le régime des quotas sucriers jusqu’à la campagne de commercialisation 2016/17.

Ceci situe le contexte des développements du secteur sucrier dans les régions ACP, qui sont couverts par le Rapport à la une d’Agritrade, «  Les développements régionaux dans les secteurs sucriers ACP 2012/13 », 13 septembre 2013.

2.         Récents développements

2.1       Développements du marché sucrier mondial

En août 2012, l’Organisation internationale du sucre (OIS) a déclaré un retour à des excédents sucriers mondiaux, le ratio stocks-utilisation augmentant à 40 %. Ceci a mis fin à la période de stocks faibles qui prévalait entre 2008/09 et 2011/12. Cette situation devrait exercer une pression baissière sur les prix. Cependant, les prix du marché restent vulnérables aux perturbations de la production. Par exemple, certains craignent l’impact que l’état financier périlleux de certaines sucreries brésiliennes pourrait avoir sur le renouvellement des « repousses » (pratiques de culture de la canne à sucre).

Le développement de la production de biocarburants de ces dernières années a renforcé le lien entre les tendances des cours pétroliers mondiaux et celles des cours sucriers mondiaux. Les décisions de production au Brésil en sont un bon indicateur. Toutefois, il s’agit là d’un processus aux facettes multiples. Par exemple, en réponse à une baisse de la production américaine d’éthanol à base de maïs, un volume plus important de canne à sucre brésilienne a été détourné vers la production d’éthanol (52 % de l’offre de canne pour la production d’éthanol, 48 % pour le sucre). Ce changement dans l’utilisation de la canne à sucre a été en outre soutenu par des rumeurs d’une augmentation des exigences de mélange au Brésil (de 20 à 25 %), qui absorberait d’un coup 20 millions de tonnes supplémentaires de canne (soit 2,6 millions de tonnes de sucre).

Une demande stagnante dans les pays développés, une demande en hausse dans les marchés des pays en développement (y compris les pays ACP) et les réponses de la production aux prix antérieurement élevés, tous ces éléments compliquent un peu plus la formation des prix sur le marché sucrier mondial. Ceci pose des défis pour les producteurs ACP désireux de maximiser leurs retours financiers. L’ampleur de ce défi a été soulignée par un rapport de Rabobank en septembre 2012.

Le rapport de Rabobank a noté une augmentation de 20 % des cours sucriers mondiaux entre la mi-juin 2012 et la fin juillet 2012, avec un déclin correspondant les semaines qui ont suivi, après des prévisions de production plus élevées.

Bien que les prix du sucre aient atteint des niveaux plus bas en 2012, les prix moyens du sucre sur les 10 prochaines années devraient être supérieurs aux niveaux de la décennie passée, d’après les Perspectives agricoles de l’OCDE-FAO de juillet 2012. (Les prix du sucre brut et blanc devaient atteindre 0,22 $US/livre et 0,26 $US/livre respectivement pour la campagne de commercialisation 2021/22.) Cependant, il semble que des « épisodes de flambée des prix et de volatilité restent tout à fait possibles ».

Les perspectives futures des cours sucriers mondiaux sont susceptibles d’avoir un impact sur la nature du futur régime sucrier de l’UE, le département américain de l’Agriculture (USDA) suggérant que des prix plus élevés pourraient faciliter l’abolition des quotas de production de l’UE (voir article Agritrade « Les tendances des cours mondiaux pourraient faciliter un “atterrissage en douceur” de l’abolition des quotas de production de sucre de l’UE », 11 mars 2012). Toutefois, des considérations politiques à plus court terme dominent actuellement les discussions de l’UE.

2.2       Le fonctionnement du marché sucrier de l’UE

En 2011, des rendements de la betterave et une teneur en sucre élevés ont entraîné de hauts niveaux de la production européenne de sucre hors quota (environ 5 millions de tonnes d’équivalent sucre blanc), mais ces niveaux ont chuté d’environ 9 % en 2012. En termes de développement du marché, cependant, la question n’est pas le niveau global de la production sucrière de l’UE en tant que tel mais les accords de gestion du marché établis par la CE ainsi que le maintien des quotas de production de sucre de l’UE.

Deux groupes de parties prenantes au sein du secteur sucrier de l’UE, les utilisateurs de sucre industriels et les raffineurs traditionnels de canne à sucre, ont été confrontés à des problèmes particuliers du fait de la manière dont le marché de l’UE a été géré depuis octobre 2010. Même si les prix du sucre avant la réforme appliqués aux utilisateurs de sucre industriels de l’UE étaient élevés par rapport aux cours mondiaux, les prix étaient stables et l’offre était garantie au titre des contrats d’approvisionnement annuels. En outre, les utilisateurs industriels bénéficiaient à la fois d’une protection tarifaire sur les produits contenant du sucre et de restitutions à l’exportation sur les produits hors Annexe I.

Avec la réforme partielle et les prix mondiaux plus élevés et plus volatils, le contexte de la sécurisation de l’approvisionnement en sucre a été transformé. Cela a donné lieu à l’abandon de la négociation de contrats d’approvisionnement annuels au début de la saison ou à une négociation de contrats plus rude, compliquant grandement les défis en termes d’achat auxquels sont confrontés les utilisateurs de sucre industriels.

D’après le Comité des industries utilisatrices de sucre (CIUS), « les utilisateurs de sucre de l’UE ont vu une augmentation de 40 % des prix du sucre au cours de la dernière année [jusque juin 2012], menant à une instabilité financière importante pour plusieurs fabricants alimentaires à travers l’Europe ». En janvier 2013, certains ont dénoncé le fait que « le système actuel de quotas a engendré des déficits d’approvisionnement majeurs et des prix non concurrentiels », tandis qu’en février 2013 les grandes entreprises utilisatrices de sucre se plaignaient de « contraintes d’approvisionnement importantes menant à des prix record » (voir article Agritrade « La controverse se poursuit concernant la gestion par la CE du régime sucrier de l’UE et son avenir », 7 avril 2013).

Dans le cadre des accords actuels, si les utilisateurs industriels peuvent acheter autant de sucre qu’ils le souhaitent sur le marché mondial (c’est-à-dire auprès des fournisseurs non privilégiés), des droits de douane élevés leur sont néanmoins imposés, augmentant les coûts pour les utilisateurs industriels n’ayant pas d’accès aux approvisionnements préférentiels. Cela a créé des problèmes de concurrence délicats, puisque certains raffineurs et transformateurs ont été en mesure d’obtenir un meilleur accès aux importations de sucre préférentielles que d’autres raffineurs et utilisateurs industriels.

Les préoccupations des utilisateurs industriels de sucre doivent également être envisagées dans un contexte où des incertitudes entourent les fondamentaux du marché du sucre et où on reconnaît que des « épisodes de flambée des prix et de volatilité restent très possibles » (voir article Agritrade « Les utilisateurs industriels présentent leur point de vue sur la réforme du secteur sucrier dans le contexte de la volatilité des cours mondiaux », 9 septembre 2012).

Pour les raffineurs traditionnels de sucre de canne, des défis plus immédiats se sont posés, Tate & Lyle Sugars (TLS) allant jusqu’à soutenir que les raffineurs traditionnels de canne à sucre sont systématiquement discriminés dans le cadre de la gestion actuelle du régime sucrier de l’UE (voir article Agritrade «  L’avenir des quotas de production sucriers de l’UE », 23 septembre 2012). La réforme des accords de licence d’importation, qui a élargi le droit d’importer du sucre brut au-delà des raffineurs traditionnels de sucre de canne brut, conjuguée aux investissements consentis par les raffineurs de betterave, a conduit à une intensification de la concurrence face à l’offre de sucre de canne brut. Les co-raffineurs étant dans une position financière permettant d’offrir de meilleurs prix pour le sucre de canne brut (puisque leurs frais d’investissement sont couverts par leurs activités de transformation de la betterave), il semble que ces réformes et la gestion par la CE du régime sucrier de l’UE aient contribué à des performances financières très divergentes des raffineurs traditionnels de sucre de canne et des entreprises de transformation de la betterave (voir article Agritrade « Tate and Lyle Sugars intente une autre action en justice contre la CE concernant la gestion de son régime sucrier », 9 décembre 2012).

En octobre 2012, l’analyse publiée par l’USDA notait que, en vertu du système d’adjudication contingenté établi par la CE durant la campagne de commercialisation 2011/12, l’offre de sucre brut était si rare que les raffineurs à temps plein payaient des droits d’importation de 290 € à 312,6 € par tonne, soit une remise de seulement 14,5 % à 7,8 % sur le droit d’importation total de l’UE. Ceci a généré une production de sucre blanc raffiné à des prix sensiblement plus élevés que le prix européen moyen du sucre produit au niveau interne.

S’agissant de Tate & Lyle Sugars (TLS), ces problèmes d’approvisionnement du sucre ont entraîné une sous-utilisation de la capacité (600 000 tonnes de sucre raffiné ont été produites en 2012, contre 1,1 million de tonnes au cours de la période d’avant-réforme). Les raffineurs portugais de sucre de canne ont appelé la CE à faciliter l’accès aux importations de sucre brut pour les raffineurs à temps plein (voir article Agritrade « Les co-raffineurs de l’UE bénéficient d’avantages en termes de coûts », 28 mai 2012).

Il apparaît que la gestion par la CE du régime sucrier de l’UE « met l’ensemble du secteur du raffinage de la canne en péril ». TLS a lancé trois actions en dommages et intérêts contre la CE (pour un total de 198 millions €), pour une prétendue mauvaise gestion du marché sucrier de l’UE aussi bien en 2010/11 qu’en 2011/12. En réponse, la CE a affirmé que « les règlements contestés par Tate and Lyle représentent une politique équilibrée en faveur du marché sucrier ».

Malgré ces plaintes et actions en justice, la CE continue de faire usage des mesures de gestion du marché qui ont été au cœur de la polémique. Le 8 novembre 2012, la CE a annoncé son intention d’« autoriser 1,2 million de tonnes de sucre supplémentaires sur le marché interne », un volume puisé dans la production hors quota et dans les importations (voir article Agritrade « La CE annonce des mesures temporaires pour doper l’offre de sucre », 16 décembre 2012). En février 2013, la CIUS a critiqué la mise en œuvre de ces mesures et a appelé la CE et ses États membres à « libérer le volume total de sucre hors quota au cours de la prochaine tranche prévue pour fin février afin de soulager les tensions » et à éliminer tous les prélèvements sur le sucre hors quota. La gestion par la CE des instruments de politique actuels continue donc d’être controversée.

La volatilité des prix des contrats individuels proposés pour le sucre ACP depuis octobre 2010 a été très importante. D’après l’USDA, le prix moyen le plus bas des contrats mensuels pour le sucre brut était inférieur de 44,9 % au prix le plus élevé payé durant la période entre novembre 2010 et novembre 2011, avec une variation de 32,7 % pour les prix du sucre blanc. La volatilité a continué d’être une caractéristique des prix du sucre brut jusqu’en juin 2012, cette volatilité étant moins importante pour les prix du sucre blanc. Cela signifie que, alors que certains fournisseurs ont obtenu de très bons prix, d’autres ont obtenu des prix bien inférieurs, en fonction des contrats négociés et des accords de commercialisation mis en place. Cela va à l’encontre de la période pré-réforme, lorsque les prix payés pour le sucre ACP étaient fixes et communs à tous les contrats. Cette volatilité actuelle des prix souligne l’importance de renforcer la commercialisation du sucre ACP au travers de mécanismes maximisant les revenus des exportateurs ACP.

Malgré cette volatilité, entre novembre 2011 et juin 2012, les prix payés pour les sucres ACP brut et raffiné étaient respectivement supérieurs de 43 % et 53 % en moyenne à ceux de la période entre novembre 2009 et juin 2010 (voir article Agritrade « L’USDA souligne l’impact de la volatilité des prix du sucre sur les exportateurs ACP et les raffineurs traditionnels de sucre de canne de l’UE », 9 décembre 2012).

2.3       Perspectives concernant les réformes à venir du secteur sucrier de l’UE

En octobre 2011, la CE a proposé deux options pour l’abolition des quotas de production de sucre de l’UE :

  • l’abolition immédiate des quotas de production lors de la campagne 2015/16 ; ou
  • l’abolition des quotas de production peu après la campagne 2017/18.

Le commissaire européen en charge de l’agriculture Dacian Cioloş a souligné que cela n’impliquerait pas l’abandon des instruments de gestion du marché, mais plutôt l’introduction d’« instruments modernisés de gestion du marché ». Les propositions ont suscité un débat considérable. En janvier 2012, certains gouvernements des États membres de l’UE ont relayé les appels des agriculteurs à reporter l’abolition des quotas de production jusqu’en 2020, tandis que d’autres États membres appelaient à l’abolition rapide des quotas de production (voir article Agritrade « État d’avancement du débat sur la réforme de la PAC », 25 février 2012). Ce problème a suscité un débat considérable tout au long de 2012/13.

En juillet 2012, le vice-président du Conseil du sucre du National Farmers Union du Royaume-Uni a spéculé que des positions divergentes donneraient lieu à un « compromis politique insatisfaisant ». Ce fut effectivement le cas, le Conseil Agriculture de l’UE des 18 et 19 mars 2013 obtenant un accord politique sur l’élargissement du régime de quotas sucriers jusqu’à la campagne de commercialisation 2016/17.

Le groupe ACP a affirmé que « l’absence de quotas sucriers de l’UE coûterait aux fournisseurs de sucre ACP/PMA jusqu’à 850 millions € en revenus perdus jusqu’en 2020 » et que cela « sonnerait le glas du secteur sucrier » dans certains pays ACP. En effet, on estime que les pays ACP « perdront plus que quiconque » dans le cadre d’un marché de l’UE libéralisé avec un « excédent » de sucre, ce qui mènerait à des prix chutant à « un niveau inférieur aux prix de soutien actuels ». C’est pourquoi les ministres ACP ont appelé l’UE à lancer des consultations formelles avec les pays ACP sur l’impact des réformes de la PAC et à mettre en œuvre des programmes de mesures d’accompagnement du protocole sucre de manière plus flexible.

En revanche, dans les soumissions orales faites lors des auditions à la Chambre des Lords du Royaume-Uni, le Groupe des utilisateurs industriels de sucre du Royaume-Uni (UKISUG) a approuvé la position du CIUS et soutenu les propositions de la CE de ne pas prolonger les quotas de production au-delà de 2015. L’UKISUG est allé un peu plus loin, appelant à « une dérégulation complète du marché sucrier de l’UE », à l’abolition des quotas de production de betterave dans les plus brefs délais et à « la garantie d’importations adéquates de sucre de canne en franchise de droits après 2015 ». Les dispositions actuelles ont été accusées de faire grimper les coûts d’achat à un prix « bien supérieur au prix de référence de 404 € la tonne », ceci posant des problèmes particuliers pour les plus petits fabricants (voir article Agritrade « Les ACP se joignent aux agriculteurs européens pour réclamer le maintien des quotas de production », 6 août 2012).

Signe de progrès dans le débat au Conseil de l’UE de 2012, le ministre britannique de l’Agriculture a reconnu qu’une majorité des ministres européens étaient en faveur de la prorogation des quotas de production de sucre jusqu’en 2020. Ceci semble être l’issue la plus probable du cycle final de consultations en juin 2013.

Si les quotas de production de sucre de l’UE sont prorogés au-delà de 2015, les raffineurs traditionnels de canne réclameront soit des quotas d’importation spéciaux, soit un système de correction automatique permettant des importations à droit nul pour le total prévu de 3,5 millions de tonnes. Ceci soulève la grande question des accords de gestion du marché à mettre en place durant la transition vers l’abolition des quotas. Des appels ont été lancés pour l’adoption de mesures politiques « opportunes et transparentes » qui soient non discriminatoires vis-à-vis des différentes parties prenantes du secteur du sucre.

À plus long terme, les raffineurs traditionnels de canne préconisent un accès illimité aux importations de sucre de canne brut si les quotas de production de l’UE sont abolis.

2.4       Perspectives du secteur sucrier européen et domaines d’incertitude politique

Depuis 2005, l’UE est passée de la position d’exportateur net à celle d’importateur net de sucre. Toutefois, cette position devrait changer à compter de 2018, l’UE devant « se rapprocher encore plus de l’autosuffisance et en effet devenir de temps en temps un exportateur net ». En 2013 et 2014, la production de sucre de l’UE devrait être inférieure aux niveaux de 2012, mais à compter de 2014 elle devrait augmenter de 600 000 tonnes, avant de retomber de 100 000 tonnes pour atteindre 16,8 millions de tonnes à compter de 2020. La consommation de sucre totale de l’UE (excepté pour les biocarburants) devrait reculer d’environ 1 million de tonnes, tandis que la production et la consommation de sucre de l’UE devraient être en équilibre en 2020. Ce qui diviserait par deux les exportations de sucre de l’UE entre 2011 et 2022, et entraînerait un déclin régulier des importations de sucre de l’UE, de 3,8 millions de tonnes en 2011 à 1,5 million de tonnes à partir de 2022 (voir article Agritrade « Développements et prévisions relatifs au secteur sucrier de l’UE », 7 avril 2013).

Cependant, ces prévisions supposent :

  • l’abolition des quotas de production de sucre en 2015, une perspective qui paraît de moins en moins probable ;
  • aucune modification aux critères de durabilité de la DER.

Le 17 octobre 2012, la CE a proposé :

  • de limiter au niveau actuel de 5 % la quantité de biocarburants à base de cultures alimentaires à utiliser dans le secteur des transports d’ici 2020 ;
  • de « porter à 60 % le niveau minimal de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour les nouvelles installations » ; et
  • d’inclure des facteurs liés à l’utilisation indirecte des terres pour le calcul des réductions des gaz à effet de serre (voir article Agritrade « Les agriculteurs européens et l’industrie des biocarburants se mobilisent contre le virage à 180° de la politique de la CE en matière de biocarburants », 16 décembre 2012).

Cette proposition est toujours en cours de discussion.

Cependant, le 12 septembre 2012, le gouvernement français a appelé à une « pause dans le développement des biocarburants entrant en concurrence avec l’alimentation » et a pris la décision de plafonner l’utilisation des « biocarburants à base de cultures agricoles » à 7 %, soit le niveau actuel (voir article Agritrade «  Appels grandissants à la révision de la politique de l’UE en matière de... », 18 novembre 2012). Une évaluation d’’impact de la CE accompagnant ses propositions du 17 octobre concluait que le plafonnement de la production de biocarburants basés sur des cultures agricoles avait l’avantage par rapport aux autres options d’être simple dans sa conception et dans sa mise en œuvre.

En fonction des options choisies par les ministres européens pour la révision des critères de durabilité, l’utilisation de la betterave sucrière dans la production de bioéthanol pourrait ne pas être affectée, ou pourrait doubler. Par ailleurs, les importations d’éthanol à base de canne à sucre provenant de systèmes de production certifiés durables augmenteraient. Cela profiterait vraisemblablement au Brésil plutôt qu’aux producteurs de sucre ACP. Cependant, cela serait fortement influencé par la base du calcul des émissions issues de l’utilisation indirecte des terres, qui conduirait lui-même à la mise en place de droits d’importation basés sur le système de production, avec des droits de douane inférieurs uniquement pour les importations de bioéthanol ayant moins d’effet sur l’utilisation indirecte des terres.

L’avenir de la politique de l’UE en matière de biocarburants crée des incertitudes concernant les perspectives futures du secteur sucrier de l’UE. Les organisations d’agriculteurs et l’industrie des biocarburants ont rejeté les allégations selon lesquelles les politiques en matière de biocarburants étaient responsables de la hausse des prix des denrées alimentaires, et s’opposent à tout changement dans les politiques européennes en matière de biocarburants.

Par ailleurs, si les quotas de production de sucre de l’UE étaient prolongés jusqu’en 2020, cela différerait le moment où l’UE entamerait sa transition vers plus d’autosuffisance et où les importations de sucre de l’UE connaîtraient un déclin spectaculaire.

Cependant, dans l’ensemble, les prévisions de la CE suggèrent que les opportunités de commercialisation du sucre ACP sont susceptibles de dépasser de plus en plus le cadre de l’UE.

2.5       Évolution de l’engagement des entreprises dans le secteur sucrier ACP-UE

La réalité complexe à laquelle font face les producteurs de sucre ACP pour exporter sur le marché de l’UE est encore compliquée par la structure changeante des liens d’entreprise UE-ACP. Les deux plus grands développements dans ce domaine, à savoir l’achat par Associated British Food’s (ABF) d’une participation de 51 % dans Illovo Sugar, et l’acquisition par American Sugar Refiners (ASR) de TLS, continuent de façonner le système commercial ACP-UE.

Grâce à sa participation de 51% dans Illovo, ABF assure à la production de sucre d’Illovo au Malawi, au Mozambique, au Swaziland, en Tanzanie et en Zambie un lien direct avec le marché sucrier de l’UE. D’après le rapport annuel 2012 d’Illovo, un peu moins de 28 % des ventes de sucre totales d’Illovo en 2011/12 ont été écoulées sur les marchés préférentiels d’Europe et des États-Unis, principalement l’UE. Étant donné qu’avant la réforme les exportations de sucre brut ACP étaient destinées aux raffineurs traditionnels de sucre de canne, y compris à TLS, le principal rival britannique d’ABF, cette structure changeante de la propriété est susceptible d’avoir un impact sur les relations commerciales.

Dans le courant de 2012, il a été annoncé que ASR avait pris une participation majoritaire dans Belize Sugar Industries (BSI) (voir article Agritrade « ASR en passe d’acquérir une participation dans Belize Sugar Industries », 9 juillet 2012). L’accès ainsi fourni pour ASR aux producteurs certifiés commerce équitable du Belize a été jugé comme étant un facteur clé dans la décision d’investissement (voir article Agritrade « La branche commerce équitable a été un facteur décisif du rachat de BSI par ASR », 2 décembre 2012). Cette initiative était complémentaire de la décision de TLS en 2008 de convertir progressivement sa gamme de sucres de consommation directe à la certification commerce équitable et de l’intérêt croissant de TLS à fournir du sucre certifié commerce équitable aux fabricants européens.

Le rachat de BSI par ASR doit être envisagé à la lumière des difficultés rencontrées par TLS à fournir du sucre brut au titre du régime sucrier réformé de l’UE ; du rachat d’Illovo par ABF ; et également de la vente de la plus grande composante du secteur sucrier jamaïcain à la Pan Caribbean Sugar Company (PCSC) détenue par la Chine, une filiale établie par le groupe chinois Complant.

En mai 2012, PCSC a obtenu le droit d’exporter directement son propre sucre (voir article Agritrade « Un nouveau contrat d’agence de commercialisation signé avec la PCSC en Jamaïque », 18 juin 2012). Malgré le soutien de TLS pour la certification commerce équitable en Jamaïque et les efforts en vue de conclure des contrats à long terme, des informations de presse indiquaient que, pour 2012/13, PCSC avait signé un contrat avec l’entreprise française Sucden pour l’approvisionnement de 40 000 tonnes de sucre brut. Sucden, un des plus grands négociants de sucre au monde, contrôlant environ 15 pour cent du marché sucrier mondial, est décrit comme l’un des principaux concurrents de TLS (voir article Agritrade « La Barbade demande le soutien du Japon pour restructurer son secteur sucrier, tandis que d’autres efforts de restructuration caribéens se poursuivent », 18 mars 2013).

Toutefois, 2013 pourrait marquer une reprise des exportations de sucre de Central Romano Corporation (détenue par ASR) en République dominicaine vers l’UE, étant donné la réduction du quota américain alloué à la République dominicaine et l’évolution relative des prix de l’UE et des États-Unis (voir article Agritrade « Développements dans le secteur sucrier de la République dominicaine », 11 février 2013).

Le commerce de sucre ACP vers l’Europe est de plus en plus impliqué dans ce réseau changeant d’alliances d’entreprises. Avec la variation considérable des prix payés au titre des contrats individuels pour le sucre ACP, la manière dont les dispositions commerciales intra-entreprises fonctionneront sera de plus en plus déterminante pour les prix réels obtenus pour les cargaisons de sucre individuelles des fournisseurs ACP de l’UE (voir article Agritrade « Des bénéfices exceptionnels à court terme prévus dans le secteur sucrier jamaïcain », 6 septembre 2011).

Au-delà de ces grands changements de propriété d’entreprise, en Afrique orientale, les entreprises mauriciennes investissent de plus en plus dans les pays voisins d’Afrique orientale, En septembre 2011, Omnicane, la plus grande sucrerie mauricienne, a annoncé un investissement de 194 millions $US dans la production de sucre au Kenya, en association avec Kwale International Sugar Company. Cette initiative devrait bouleverser le secteur sucrier kényan. Au même moment, le deuxième plus gros broyeur mauricien, Alteo (né de la fusion de Deep River Beau Champ et Flacq United Estates), « cherche des partenaires stratégiques en Afrique de l’Est pour augmenter sa production de sucre » au-delà du niveau de participation actuel dans les secteurs sucriers tanzanien et mozambicain (voir article Agritrade « Une deuxième sucrerie mauricienne souhaite étendre ses activités en Afrique orientale », 18 février 2013).

Ces initiatives mettent en lumière le potentiel de croissance des sucreries basées dans les pays ACP, le développement de la production de sucre étant en cours en Afrique orientale et australe. Cependant, elles soulignent également le réseau complexe de relations d’entreprises qui est en jeu. La situation qui se dessine à Maurice est particulièrement complexe, étant donné l’accord entre le Syndicat des sucres mauricien et Südzucker pour l’exportation de 400 000 tonnes de sucre de consommation directe par an vers le marché de l’UE et le partenariat d’Alteo avec la sucrerie française Tereos au Mozambique.

Le processus de restructuration des entreprises de l’UE touche donc les secteurs sucriers ACP et tisse des réseaux de plus en plus complexes d’accords d’approvisionnement temporaires et d’alliances d’entreprises à long terme.

3.         Implications pour les pays ACP

3.1       Relever les défis de la transition

Les appels des raffineurs traditionnels à la réinstauration de quotas d’importation dédiés ou d’un accès en franchise de droits pour un plafond de 3,5 millions de tonnes, s’ils sont entendus, sont susceptibles d’avoir un impact sur la position commerciale des exportateurs de sucre ACP dans les négociations de contrat avec les importateurs de l’UE. Cela se traduirait soit par une réduction du nombre d’acheteurs en concurrence pour le sucre ACP, soit par une augmentation du nombre de vendeurs potentiels de sucre en franchise de droits aux importateurs de l’UE. Au cours des prochaines années, par conséquent, les gouvernements ACP devront relever deux défis qui sont liés : les effets sur les producteurs ACP de l’utilisation des instruments actuels de gestion du marché et les effets de l’abolition finale des quotas de production de sucre de l’UE.

3.2       Impact du report de l’abolition des quotas de production de l’UE

Même si l’abolition des quotas de production de l’UE est reportée à 2020, la tendance à plus long terme découlant des ajustements du secteur sucrier de l’UE après la réforme est à une plus grande autosuffisance en sucre de l’UE et à une réduction substantielle des importations de sucre totales de l’UE (– 59 % d’ici 2020 par rapport à la moyenne des importations sur la période 2009-2011). Cela aura des implications profondes pour les exportateurs de sucre ACP, étant donné l’élargissement des contingents tarifaires du sucre de l’UE qui est en cours avec les exportateurs de sucre compétitifs, du fait de la multiplication des accords de zone de libre-échange de l’UE. Ceci renforce la tendance au déclin des préférences du secteur sucrier de l’UE pour les exportateurs de sucre ACP sur le long terme.

3.3       Renforcement du fonctionnement des chaînes internes d’approvisionnement du sucre

Si les évolutions en Jamaïque soulèvent la question du rôle régulateur futur des conseils d’industrie pour déterminer la répartition des recettes, les développements d’entreprise au Belize soulignent la nécessité d’un cadre modernisé pour la gestion des relations basées sur le secteur privé le long des chaînes d’approvisionnement spécifiques, dans un contexte de vastes inégalités dans les relations de pouvoir au sein des chaînes d’approvisionnement et de l’extrême volatilité des prix au niveau mondial.

Dans ce contexte, les initiatives politiques de l’UE visant à renforcer le fonctionnement des chaînes d’approvisionnement du secteur sucrier pourraient être porteuses de leçons. Plus particulièrement, l’avenir des accords interprofessionnels actuels dans les secteurs sucriers de l’UE semble avoir une importance considérable. Actuellement, au Royaume-Uni, ces accords permettent aux cultivateurs de betterave de négocier collectivement avec les transformateurs monopolistiques, en établissant un « vendeur unique » pour faire contrepoids à « l’acheteur unique de la chaîne d’approvisionnement », et ainsi gérer « un déséquilibre évident dans la chaîne d’approvisionnement ».

Dans les pays ACP, des accords similaires semblent nécessaires, structurés de manière à répondre la question plus complexe du partage des revenus issus des diverses sources entre les agriculteurs et les broyeurs. Il s’agit là d’une question délicate. Des formules de partage des revenus différentes sont en place à travers les pays ACP, dans un contexte où la contribution des producteurs indépendants au volume total de sucre varie fortement. L’identification des meilleures pratiques du point de vue de la culture de la canne à sucre apparaît comme étant une priorité importante pour les organisations de producteurs de sucre ACP.

3.4       Renforcement du fonctionnement des chaînes internationales d’approvisionnement du sucre

La nature spécifique des relations contractuelles établies entre les raffineries de sucre et les exportateurs de sucre raffiné dans les pays ACP et les importateurs dans l’UE sera de plus en plus le facteur déterminant des bénéfices plus larges en termes de développement tirés du commerce de sucre ACP-UE. Les questions liées à la transparence dans la formation des prix – étant donné l’extrême volatilité dans les prix des contrats individuels négociés avec les fournisseurs ACP – sont susceptibles de gagner en importance. Ceci est particulièrement vrai dans les situations où des entreprises sœurs appartenant à un même conglomérat contrôlent différentes étapes du processus de commercialisation, de la raffinerie au marché.

Dans ce contexte, le travail politique de la CE visant à éviter les pratiques commerciales déloyales pourrait potentiellement intéresser les gouvernements ACP. Les agriculteurs de l’UE ont appelé la CE « à prendre des mesures concrètes pour introduire une législation à l’échelon européen en vue de lutter contre les pratiques déloyales et abusives dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire de l’UE » (voir article Agritrade « Développements politiques de la CE pour aborder les pratiques commerciales déloyales », 4 mars 2013). De la même manière, les ONG de développement ont appelé à une « action rapide et énergique » par la CE pour mettre fin aux pratiques commerciales déloyales le long des chaînes d’approvisionnement alimentaire internationales, conformément aux directives du « Grocery Code Adjudicator » proposé par le Royaume-Uni (voir article Agritrade « Publication du rapport sur l’amélioration du fonctionnement de la chaîne d’approvisionnement alimentaire », 11 mars 2013). Les gouvernements ACP pourraient utilement surveiller les développements dans ce domaine et chercher leur élargissement au commerce sucrier ACP-UE lorsque cela est approprié.

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