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“Un thonier viendra au port si le port est bien équipé, compétitif”

04 mai 2014

Un entretien avec Philippe Michaud, Président de la Seychelles Fishing Authority

Philippe Michaud est un économiste, actif dans le secteur de la pêche aux Seychelles depuis 30 ans. Il est actuellement conseiller technique au -ministère des Relations étrangères des Seychelles, ainsi que président du conseil d’administration de la Seychelles Fishing Authority. Il est également membre du conseil d’administration de la Seychelles Ports Authority et du Haut comité contre la piraterie.

Q: Les pays côtiers en développement, comme les pays ACP, expriment aujourd’hui leurs aspirations légitimes à développer leur propre capacité de pêche. Quelle est l’expérience des Seychelles en la matière?

Il est effectivement très important pour les pays côtiers de pouvoir retirer plus de bénéfices de leurs ressources halieutiques, en développant leur capacité à les pêcher, mais cela doit se faire d’une manière qui permette d’éviter de développer une surcapacité.

Il faut aussi se rendre compte que, particulièrement dans le cas de la pêche thonière, le développement d’une pêche industrielle locale performante coûte très cher. Un thonier senneur, c’est un capital considérable; même un palangrier représente un investissement conséquent, difficilement abordable pour nos citoyens.

Aux Seychelles, nous avons pris plusieurs initiatives. En premier lieu, nous avons permis à des navires étrangers d’acheter des licences de pêche pour pêcher dans la ZEE seychelloise - c’est notamment le cas des flottes européennes active à travers les accords de pêche.

Nous avons aussi permis l’enregistrement de thoniers sous pavillon seychellois: nous avons aujourd’hui une flotte de 7 senneurs et 30 palangriers sous pavillon des Seychelles. Nous appliquons les mêmes normes de suivi et de contrôle des activités à tous les bateaux, qu’ils soient sous pavillon national ou étranger.

De plus, nous avons financé le développement d’une flotte de palangriers semi-industriels pour pêcher le thon et l’espadon avec des armateurs et des équipages qui sont à 100% seychellois.

Q: Selon vous, qu’est ce qui guide le choix d’un armateur européen, entre acheter une licence de pêche pour le thon, notamment dans le cadre d’un accord de pêche, ou changer de pavillon?

Pêcher sous accord de pêche apporte un certain degré de garantie aux armateurs, mais pour un laps de temps assez court. D’un autre côté, et même si cela n’est écrit nulle part, changer de pavillon offre à l’armateur une meilleure garantie de pérenniser son accès aux ressources et donc son activité.

Pour ce qui est des licences, un armateur paie plus lorsque son bateau est sous pavillon seychellois que lorsqu’il pêche dans le cadre d’un accord. Mais il faut aussi considérer l’intervention financière des pouvoirs publics européens dans le cadre des accords, comme l’appui sectoriel, qui est aussi un bénéfice pour le pays côtier.

Globalement, pour les états côtiers, les avantages des deux sont plus ou moins similaires, même si on peut parfois considérer qu’un bateau qui a changé de pavillon est mieux intégré à l’économie nationale : le bateau décharge ses captures localement, fait les réparations nécessaires dans le  port local, etc.

Pour ces raisons, nous souhaitons continuer à développer notre capacité de pêche, y compris par le biais de changement de pavillon de navires très contrôlés qui s’intègrent dans l’économie nationale.

Q: Comment évaluez-vous d’autres éléments des accords de pêche avec l’Union européenne, comme l’appui sectoriel?

Nous utilisons l’appui sectoriel pour aider toutes les pêcheries qui se déploient dans les eaux des Seychelles.

Récemment, un quai de 120 mètres de long a été construit grâce à cet appui, ce qui permet d’améliorer l’offre de services pour les senneurs qui peuvent ainsi débarquer leurs filets sans problème.

Cet appui sectoriel a aussi servi à la construction d’infrastructures pour la pêche artisanale, dont les populations dépendent beaucoup pour l’approvisionnement en poisson frais.

D’autres aspects sont également importants, comme l’introduction d’une clause sociale au sein des accords de pêche européens. Cela nous a forcé à réfléchir sur la formation que nous devions donner à nos membres d’équipage pour qu’ils aient toutes les certifications exigées par les navires, et puissent ainsi bénéficier d’un meilleur statut.

Il y a aussi eu des avancées importantes en matière de suivi et de contrôle, notamment avec l’introduction d’un système électronique d’enregistrement des données de captures. Cela nous rend ces données plus accessibles, plus rapidement, ce qui, au bout du compte, nous donne aussi plus de confiance dans la qualité de ces données de capture.

La transparence est aussi un élément important. Au niveau des Seychelles, - comme ce qui est fait pour l’accord avec l’UE-, nous allons rendre publics tous les accords de pêche que nous avons signés avec des pays étrangers, ainsi que cela a été recommandé par la CTOI. Cela va certainement permettre de fournir une meilleure information à tous et faciliter une harmonisation des conditions d’accès entre les pays de la région.

Il faut sur ce point saluer aussi d’autres initiatives de l’UE, comme le financement du programme Smartfish, qui fournit un excellent travail, notamment pour aller vers une harmonisation des conditions d’accès aux ZEE des différents pays de la région.

Q: Un élément des accords de pêche avec l’UE sur lequel certains pays partenaires insistent, c’est l’inclusion d’une obligation de débarquement local des captures. Qu’en pensez-vous?

C’est un élément important, mais il est difficile en pratique d’obliger des opérateurs privés à débarquer à un certain endroit: un thonier viendra au port si le port est bien équipé, si les services portuaires sont compétitifs, si les chambres froides et les conserveries respectent les normes élevées, etc.

Aux Seychelles par exemple, même si beaucoup de senneurs débarquent à Victoria, il y a encore trop peu de palangriers qui le font car nous n’avons pas encore les infrastructures nécessaires, en particulier des chambres froides à -60 degrés, qui permettent de garder le poisson au meilleur de sa fraîcheur. Des investissements sont nécessaires.

Q: Donc, les besoins sont importants mais, malgré cela, la plupart des pays ACP ne mettent pas la pêche comme secteur prioritaire en matière d’aide au développement, dans les programmes FED par exemple. Comment expliquez-vous cela?

Le secteur de la pêche n’a pas un poids politique très fort, car son importance n’est pas assez visible. Par exemple, pour les Seychelles, lorsqu’on donne des statistiques économiques, on parle surtout du tourisme, alors que la pêche a un poids économique équivalant!

Il faut améliorer l’information et les données sur la pêche, mais aussi sur ses effets induits. Par exemple, aux Seychelles, 60% des containers qui partent du port commercial transportent des conserves de thon fabriquées aux Seychelles pour l’exportation.

La filière thonière fait littéralement vivre le trafic de cargos, mais cela n’est pas suffisamment connu ou visible. Si c’était le cas, les autorités en charge de la pêche pourraient mieux convaincre leurs collègues de l’importance à donner à la pêche dans les programmes d’aide au développement.

Q: Le commerce des produits thoniers est un moteur de développement économique. Quel est votre point de vue par rapport au frein que peuvent constituer les règles d’origine?

Nous avons beaucoup de débarquements de thon d’origine aux Seychelles, au port de Victoria. Ce ne sont pas les règles d’origine en tant que telles qui nous posent donc des difficultés, mais plutôt les demandes croissantes des importateurs pour certains produits particuliers, comme le thon pêché à la canne, que nous devrions alors importer des Maldives, du Ghana ou d’ailleurs.

Nous pourrions bien sûr avoir une dérogation, mais les volumes sont trop limités. D’un autre côté, ce n’est pas évident non plus d’utiliser les possibilités de cumulation avec les autres pays ACP, car il faut les structures administratives nécessaires pour gérer tout cela. Ce sont de nouveaux défis !

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